La cession d’un immeuble inscrit au bilan d’une société cristallise plusieurs décisions structurantes : comment traiter la plus-value, faut-il réinvestir pour étaler l’impôt, quand et comment distribuer (dividendes, réserve de liquidation), et quelles alternatives envisager (cession d’actions, transformation en société de patrimoine). Un choix pertinent suppose d’articuler fiscalité, trésorerie et stratégie patrimoniale – trois dimensions que Deg & Partners met en perspective avec ses clients, afin d’optimiser la décision dans un cadre parfaitement maîtrisé.
En droit belge, la vente d’un immeuble par une société n’entraîne pas l’imposition du prix total, mais de la plus-value comptable : prix de vente – valeur comptable nette (valeur d’acquisition diminuée des amortissements actés) ; les frais de cession directement liés à l’opération (publicité, notaire, expertise, conseil) s’imputent sur la plus-value¹. L’impôt est dû à l’ISoc au taux ordinaire de 25 % (ou 20 % sur la première tranche de bénéfice ≤ 100 000 € si les conditions du taux réduit sont réunies). Le terrain, non amortissable, est neutralisé dans le calcul de la dotation et… mécaniquement génère une plus-value si sa valeur s’apprécie.
Idée-force – Une cession immobilière en société ne se résume pas à « payer l’ISoc ». Elle ouvre plusieurs trajectoires : étaler la taxation via réinvestissement, distribuer (dividendes ordinaires, VVPR-bis ou réserve de liquidation), restructurer (cession d’actions, scission, société de patrimoine) en fonction d’un horizon d’investissement, de besoins privés et d’objectifs successoraux.
La valeur comptable du bâtiment diminue au fil des amortissements (p. ex. 3,00 %/an sur 33 ans ou 3,33 %/an sur 30 ans), alors que la part du terrain reste inchangée (non amortissable). À la cession, plus l’immeuble est amorti, plus la plus-value sur « bâtiment » est élevée ; à l’inverse, les économies d’ISoc engrangées pendant les années d’amortissement ont amélioré la trésorerie.
Exemple – Prix d’achat 330 000 € (dont 30 000 € terrain). Amortissements linéaires sur 30 ans : 10 000 €/an sur le bâtiment. Cinq ans plus tard, valeur comptable = 330 000 € – 55 000 € = 275 000 €. Vente à 400 000 € → plus-value = 125 000 €. Les frais de cession directement liés à la vente viennent en déduction¹ (p. ex. 10 000 € de frais → plus-value imposable = 115 000 €).
Points d’attention
À défaut d’option, la plus-value est imposée en une seule fois à l’ISoc, au taux ordinaire. Cette solution est simple, mais consomme de la trésorerie et fige la charge d’impôt l’année de la cession.
La loi permet, sous conditions, d’étaler la taxation de la plus-value :
Exemple – Vente 400 000 € (plus-value 125 000 €). Réinvestissement 500 000 € dans un appartement (450 000 € bâtiment amortissable/50 000 € terrain) amorti sur 30 ans → réintégration annuelle de 125 000 €/30 = 4 167 € à l’assiette ISoc. Le financement du réinvestissement peut combiner prix de vente et emprunt ; la condition porte sur le montant investi, pas sur la provenance des fonds.
Attention – Pendant la période d’étalement, la plus-value doit rester comptabilisée en réserve intangible. Toute distribution (même indirecte) rompt la condition et entraîne l’imposition immédiate du solde non encore taxé³.
La société peut distribuer le bénéfice de la vente (dividendes), sous réserve de respecter les tests de distribution (capitaux propres, continuité). Le précompte mobilier (Pr. M.) est 30 % par défaut ; 15 % si les actions répondent au régime VVPR-bis (petite société, actions nouvelles libérées en numéraire, détention ≥ 3 ans, etc.). Cette distribution n’empêche pas l’imposition de la plus-value ; elle exclut l’option d’étalement si elle porte sur la réserve intangible³.
Alternative souvent optimale : affecter le bénéfice (y compris la plus-value déjà imposée si étalement) à une réserve de liquidation.
Synthèse – Dividende immédiat : flexibilité/trésorerie mais Pr. M. 30 % (15 % VVPR-bis si conditions). Réserve de liquidation : temporisation (5 ans) contre baisse marquée de la charge au niveau des actionnaires.
Céder les parts de la société (qui conserve l’immeuble) est une piste non immobilière : en personne physique, la plus-value sur actions est généralement non imposable si elle relève de la gestion normale du patrimoine privé (hors spéculation/abus). L’acquéreur, lui, « hérite » des valeurs comptables et latences fiscales (plus-values potentielles). Cette voie s’optimise par data room comptable et garanties contractuelles ; elle se compare aux droits d’enregistrement d’une vente d’immeuble (variables selon la Région) et aux préférences de l’acheteur (asset deal versus share deal).
À l’approche de la retraite, trois axes sont fréquents :
Objectif : reporter l’ISoc et préserver la capacité d’investissement.
Mouvement : étalement (art. 47 CIR 92)² via réinvestissement en actif amortissable (équipements productifs, immeuble d’exploitation). Réserve intangible non distribuée. Plus tard, affecter la partie déjà imposée en réserve de liquidation pour préparer une sortie efficiente.
Objectif : liquider dans 8–10 ans et compléter la pension.
Mouvement : taxation immédiate (simple) + réserve de liquidation (10 %), distribution au tarif réduit 6,5 % après 5 ans, ou 0 % en liquidation. Pas d’étalement si l’on veut distribuer la plus-value rapidement³.
Objectif : maximiser le prix net chez le cédant particulier.
Mouvement : cession d’actions (plus-value privée non imposable en l’absence de spéculation/abus), avec garanties usuelles. À comparer avec un asset deal (vente directe de l’immeuble) si l’acquéreur veut des amortissements plus élevés.
Option | Conditions-clés | Avantages | Vigilances |
Taxation immédiate de la plus-value | Aucune option formelle | Simplicité, lisibilité | Impact cash l’année N ; pas d’optimisation temporelle |
Étaler (art. 47 CIR)² | Réinvestir ≥ prix de vente en actif amortissable dans 3 ans (ou 5 ans si immeuble) ; terrain exclu ; réserve intangible non distribuée³ | Report d’ISoc sans intérêt ; lissage résultat ; levier de financement (emprunt admissible) | Toute distribution rompt l’étalement ; calibrer l’assiette amortissable du remploi |
Dividende (30 % ou 15 % VVPR-bis) | Tests de distribution ; conditions VVPR-bis pour 15 % | Liquidité immédiate | Charge Pr. M. élevée ; incompatible avec réserve intangible³ |
Réserve de liquidation | SRL/SC ; cotisation distincte 10 % | Pr. M. 6,5 % après 5 ans (ou 0 % à la liquidation) ; optimisation globale | Immobilise les fonds (temps) ; coordination avec besoins privés |
Cession d’actions | Acheteur disponible ; gouvernance/garanties | Plus-value privée non imposable (le plus souvent) | Due diligence, latences fiscales intégrées dans le prix |
Société de patrimoine | Stratégie long terme/familiale | Transmission par donation d’actions (droits fixes) ; pilotage centralisé | Coûts récurrents ; fiscalité sur revenus immobiliers et avantages en nature |
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¹ Art. 43 CIR 92 – Frais de cession imputables sur la plus-value (publicité, notaire, expertise, conseil).
² Art. 47 CIR 92 – Taxation étalée de la plus-value, condition de réinvestissement (montant, nature amortissable, délai de 3/5 ans).
³ Art. 190, al. 2 CIR 92 – Réserve intangible : indisponibilité durant la période d’étalement ; toute distribution rend la plus-value immédiatement imposable.
⁴ Taux ISoc : 25 % (taux ordinaire) ; 20 % jusqu’à 100 000 € sous conditions « petite société » (taux réduit).
⁵ VVPR-bis : régime de Pr. M. 15 % sur dividendes d’actions nouvelles de petite société, libérées en numéraire et détenues ≥ 3 ans (conditions légales spécifiques).
⁶ Réserve de liquidation : cotisation distincte 10 % (à la constitution) ; distribution après 5 ans 6,5 % de Pr. M., 0 % à la liquidation.