Pourquoi la réforme de l’ISOC s’est imposée comme une évidence impérieuse ?

En l’espace de quelques mois, le ministre van Overtveld a réussi à imposer à l’agenda du Gouvernement Michel la délicate question de la réforme de l’ISOC, avec pour principale ambition, celle de baisser son taux nominal dans un environnement dit « budgétairement neutre ». Pourtant, cette issue semble aujourd’hui obstruée. Mais ce blocage est-il sensé ? Et pourquoi cet enjeu est-il vital à l’aube d’une nouvelle année ?

Il y a au moins 7 raisons de réaliser une réforme à l’impôt des sociétés, nous nous proposons de les parcourir, avec l’objectif de vous convaincre de son extrême nécessité, en dehors de tout jeu politique.

  1. L’entreprise joue un rôle social essentiel dans l’économie actuelle. C’est une évidence qui ne l’a pourtant pas toujours été : la société fait aujourd’hui l’unanimité sur son rôle clé dans la création d’emploi. Pas d’entreprise, pas d’emploi. Encourager leur création et leur développement devient en conséquence une priorité nationale. Il n’y a donc personne ni à gauche ni à droite (en dehors des extrêmes) qui en conteste le principe : tout mettre en oeuvre pour les attirer est devenu une impérieuse nécessité politique. De façon surprenante, cette évidence ne l’était pas du tout il y a 15 ans. Le taux nominal moyen de l’ISOC en Europe a baissé sur cette période de 34 à 22%. La Belgique a partiellement suivant ce mouvement en 2004 en abaissant son taux nominal de 40 à 33%. Mais pourquoi s’est-elle arrêtée là ?
  2. Il faut séduire (attirer) les employeurs, car l’emploi est tout simplement rare. Et face à une ressource rare, tous les coups sont permis pour se l’approprier. C’est pour cette raison que la Belgique est progressivement devenue un « cancre » dans le « ranking » des meilleurs taux nominaux à l’ISOC. Aujourd’hui, il n’y a plus que la France et Malte devant nous. La France s’est engagée dans un processus de baisse non encore abouti. Malte n’est pas comparable puisque l’ISOC est imputable à l’IPP dans ce pays, ce qui le rend virtuellement « transparent ». En conséquence, si la Belgique souhaite s’exposer avec attrait, son taux nominal est essentiel. Et ceci bien que le taux effectif, pour lequel la Belgique se classe en milieu de peloton, ne constitue lui qu’un atout peu visible et peu référencé dans les critères de choix des entreprises internationales en quête d’un nouveau siège d’exploitation.
  3. La réforme fiscale s’inscrit dans un contexte international en profonde mutation. La réforme de l’ISOC prend place dans un contexte de grandes agitations sur le plan international pour lutter contre les mécanismes d’évitement de l’impôt. Les initiatives de l’OCDE et de l’Europe (notamment le projet de BEPS -pour Base Erosion and Profit Shifting-) qui visent à rapprocher les modes de comptabilisation et de fiscalisation tout en favorisant divers modes de coopération exercent une influence notable sur les stratégies fiscales des États. Ces évolutions font évoluer les concepts et les croyances dans les différents modèles fiscaux des États pour attirer les investisseurs. Ainsi, des voies croissantes doutent d’une stratégie d’attractivité basée sur des niches fiscales et recommandent vivement de simplifier la base imposable pour l’élargir. Et cela tout en réduisant sensiblement le taux nominal qui s’y applique. La course à l’abaissement de ce taux nominal est bien lancée, et de plus en plus de nations annoncent régulièrement une réduction du taux. Dans ce contexte, la stratégie de niche de la Belgique n’est plus suffisante : elle doit évoluer et s’adapter.
  4. Seul l‘ISOC peut être abaissé significativement. En vérité, le carcan budgétaire laisse très peu de choix au gouvernement Michel. La quote-part contributive de l’IPP dans le budget de l’État est une des plus lourdes au monde. Toute volonté de réforme significative à l’IPP est dès lors impayable, car trop impactante. Il en de même est de même pour la sécurité sociale. Par contre, l’impôt des sociétés est bien moins contributif, ce qui signifie qu’agir sur cette base produit un impact moindre sur le budget fédéral. Plus concrètement, si vous révolutionner la charge à l’impôt des personnes physiques en la réduisant de moitié, ceci vous coûte 6 à 7% de PIB tandis que la même mesure à l’ISOC ne vous en coûtera qu’un 1 bon pourcent. La différence est colossale. Réformer la fiscalité sur le travail de façon significative en passant par l’impôt des personnes physiques est insurmontable, c’est pour cette raison que la réforme de l’ISOC s’impose comme la seule voie praticable
  5. Une réforme doit produire tous ses effets pour être efficace. L’IPP est devenu depuis la sixième réforme de l’État un impôt fédéral et régional. Toute réforme de cet impôt impacte en conséquence deux niveaux budgétaires tout en ne supportant qu‘un seul assentiment. Cette situation de fait est contraire aux principes de responsabilité et d’autonomie qui ont présidé les travaux de cette dernière réforme institutionnelle. Plus encore, les régions impactées peuvent souhaiter compenser cette perte de revenu en la fiscalité à un autre endroit. Les risques concrets de neutraliser une bonne mesure par une « mauvaise » mesure sont réels. Ce risque n’existe pas à l’ISOC qui reste un impôt exclusivement fédéral : il produit donc tous ses effets librement.
  6. Une réforme budgétairement neutre n’est pas économiquement neutre. Selon les déclarations gouvernementales, la réforme doit être budgétairement neutre. Ceci consiste à réaliser un « ISOCshift » dont le principe devrait limiter immédiatement les bienfaits qu’il peut produire sur l’économie et le travail. Ce n’est en réalité pas tout à fait exact, car dans les projets actuellement envisagés, le « shift » devrait produire partiellement un transfert de la charge fiscale des TPE/PME vers les grandes entreprises. Si l’idée paraît séduisante, cette stratégie représente aussi le risque de produire une délocalisation des grandes entreprises, alors que les PME/TPE sont significativement moins mobiles. Abaisser la charge des « petits players » est aujourd’hui absolument indispensable si l’on veut s’inscrire dans une vision économique réaliste. Avec le recul, on peut en effet s’interroger sur le fait que la croissance de l’emploi des prochaines années puisse reposer sur ces grands groupes. Il y a donc bien lieu de réorienter notre politique fiscale des sociétés en favorisant enfin les TPE/PME et en les incitants à se développer et à prospérer.
  7. Une réforme de l’ISOC est réalisable. Ceci paraît idiot, mais aujourd’hui des acteurs clairement indépendants du Gouvernement estiment qu’abaisser l’ISOC est une opération « budgétairement neutre ». C’est en tout cas les conclusions récentes du CSF. Le Conseil Supérieur des Finances (CSF) a émis un rapport daté de juillet 2016 (publié en novembre 2016) sur le financement d’une réforme fiscale dans le contexte « post-BEPS ». Il émet un avis favorable à la baisse de l’ISOC et estime qu’un taux unique de 25% est aujourd’hui finançable moyennant un élargissement de la base imposable. Ce rapport complète un avis antérieur émis sur la même thématique en août 2014, dont les conclusions antérieures étaient bien moins favorables.

Pour toutes ces raisons, nous ne comprenons pas pourquoi le gouvernement titube ou mixte ses débats. La réforme de l’impôt des sociétés est enjeu à elle seule. Tout élargissement du périmètre des discussions est économiquement et fiscalement inadéquat. Espérons que nos élus puissent le comprendre avant les fêtes de fin d’année.


Emmanuel Degrève, décembre 2016.


Emmanuel Degrève est conseil Fiscal, Partner chez Deg & Partners. Professeur à la CBC Bruxelles et à l’EPHEC, il préside également le Forum For the Future.


Emmanuel Degrève est joignable par email à l’adresse emmanuel.degreve@degandpartners.com

Il est aussi joignable via son secrétariat au +32 2 247 39 39 (Ophélie)

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