Le patrimoine des Belges subit une fiscalité invisible. Un principe que l’État devrait intégrer avant de réformer son IPP !

Il n’y a pas un mois sans que le débat sur la taxation des revenus mobiliers et la suppression de l’exemption de taxation des plus-values ne reviennent sur le tapis. A l’origine, une volonté légitime du législateur de revenir au fondement de la réforme du CIR (Code d’Impôt sur les Revenus) de 1962, dont l’ambition consistait d’abord et avant tout à taxer sur une base globalisée. Entretemps, le monde a changé fondamentalement. Et la fiscalité prend des formes invisibles. Ce qui se produit aujourd’hui, par l’apparition d’une inflation élevée et le maintien d’un taux d’intérêt bas, est la base d’un nouveau paradigme qui dissimule un nouveau prélèvement fiscal. L’Etat doit s’en souvenir avant d’entamer une réforme de sa fiscalité à l’IPP, en prenant compte de ce prélèvement

La réforme de 1962 et son ambition de globalisation

En 1962, le législateur dans un but conjoint de lutter contre la fraude fiscale et d’assurer un impôt plus équitable donna naissance audit code d’impôt sur les revenus 1962, en abrégé CIR/62. Ce code d’impôt instaurait des catégories de contribuables et de revenus. La philosophie de cet édifice législatif devait, par la globalisation de l’ensemble des revenus et la progressivité de l’impôt, garantir une juste contribution, horizontale (quelle que soit la nature des revenus) et verticale (en proportion des revenus perçus). Lire ces motivations de l’époque semble bien contemporain… « ...il faut que demain la fiscalité́ encourage l’investissement et l’effort, qu’elle décourage la fraude et rétablisse la justice. Il faut que la fiscalité́, rendue moins compliquée, devienne en Belgique, le moyen d’une politique financière efficace, au service d’une politique conjoncturelle et structurelle de développement économique... »

En 1984, le législateur, face à une concurrence accrue du marché́ des capitaux, décide de déglobaliser les revenus mobiliers en les soumettant à un régime libératoire : le régime du précompte « libératoire » qui libère le contribuable de la déclaration de ses revenus mobiliers si ces derniers ont été imposés avec des taux de 25% et de 15%. Des taux qui s’envoleront en une décennie pour atteindre 30% et moins de régimes d’exception.

Taxation du patrimoine

Le saviez-vous ? Les revenus mobiliers représentent chaque année une manne fiscale en progression. En 2019 (dernière année normale), l’Etat collectait 4,1 milliards de précompte mobilier pour 2,5 milliards en 2010. Selon l’OCDE, la fiscalité du patrimoine (sens plus large) a bel et bien progressé en Belgique (en % du PIB) de 2 à 3,4% en 20 ans. Elle fait partie des plus hautes (5e sur 38 pays examinés).

Le coût réel du quantitative easing pour les belges

Parallèlement, les banques centrales ont pris d’assaut les politiques monétaires. Pour faire face à la crise, elles ont fait tourner massivement « la planche à billets ». En rachetant les dettes publiques, elles congèlent l’endettement public. En s’asseyant sur les taux, elles préservent la survie des États et leur capacité d’endettement. Appliquons le concept à la Belgique : une dette belge de 453 milliards fin 2021, un taux OLO (obligation linéaire) à 10 ans proche de zéro et un taux d'intérêt moyen sur les instruments de la dette de 1,43%, on comprend l’importance de cette stratégie. Chaque pourcent de charge d’intérêt contenu correspond à une économie publique de près de 5 milliards. Pourtant, la contrepartie économique s’enflamme : l’inflation (belge) s’envole pour atteindre des sommets aujourd’hui et probablement aussi demain. Mais l’inflation est l’ennemi public du patrimoine et c’est là que l’on comprend qu’il y a un travers dans notre équation.

Une juste balance des efforts ?

Ces politiques sont-elles bien neutres ? La réponse est négative. Avec une inflation de 5,7% et un taux d’intérêt négatif, l’épargne belge est tout simplement emprisonnée et pénalisée. Elle subit l’érosion monétaire avec pour seule ressource, la possibilité de prendre plus de risques pour garantir un peu de rendement. Prenons le seul contexte des dépôts d’épargne réglementés, dont la valeur est proche 300 milliards selon les statistiques de la BNB et établissons dans le même temps le coût de l’inflation moyenne en 2021 sur l’épargne réglementée : 2,33% (2,44% (inflation moyenne) – 0,11% (rendement garanti)). En euros, près de 7milliards pour cette année !

Si vous comparez cette valeur (7 milliards) à celle du précompte mobilier (4 milliards), vous comprendrez qu’elle n’est pas anecdotique. Aujourd’hui nos contribuables sont sensiblement exposés aux nouvelles formes de fiscalisation, ce que j’appelle la contribution invisible. Vu sa valeur, nos gouvernants ne devraient-ils pas comprendre qu’il y a différentes formes de contribution et en prendre la pleine conscience avant d’entamer une réforme des revenus? N’est-ce point une question légitime ?


Cette opinion a également été publiée dans L'écho

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