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Récupération de TVA « oubliée » et pertes sur créances: délais, procédures et exceptions (2022-2028)

La récupération de la TVA en amont (déduction) et la restitution de TVA en cas de perte (totale ou partielle) d’une créance répondent à des règles de calendrier très précises, dont la méconnaissance entraîne la forclusion du droit. À cela s’ajoutent des régimes dérogatoires (faillite, réorganisation judiciaire) et, depuis 2025, un assouplissement ciblé permettant, dans des hypothèses strictement encadrées, une déduction au-delà du délai de trois ans. L’objectif de cet article est d’exposer, de manière structurée et pédagogique, jusqu’à quand et comment récupérer la TVA « oubliée », quand et comment inscrire une restitution en cas de créance irrécouvrable, et quelles preuves conserver.

En synthèse : la règle est celle d’un délai‐cadre de trois ans (apprécié « par année civile »), avec quelques fenêtres de rattrapage et des procédures spécifiques selon l’événement déclencheur.


1. La déduction « classique » d’une TVA en amont qui a été omise

1.1. Point de départ du droit à déduction

Le droit naît à l’exigibilité de la taxe : en principe à la livraison du bien ou à l’achèvement du service ; en présence d’une facture, c’est la date d’émission qui commande l’exigibilité (sauf cas particuliers). Une facture conforme est indispensable (mentions minimales : identification parties, numéros de TVA, dates, base imposable, taux, etc.)[1]. La TVA indûment facturée (ex. autoliquidation oubliée, mauvais taux) n’est pas déductible : il faut une note de crédit du fournisseur, puis une refacturation correcte, le cas échéant.

1.2. Jusqu’à quand déduire une TVA omise ?

La pratique administrative retient que l’assujetti peut imputer la taxe jusqu’à la dernière déclaration précédant l’expiration d’un délai de trois ans suivant l’année civile pendant laquelle la TVA est devenue exigible ; en pratique : ≈ 4 ans à compter du 1ᵉʳ janvier de l’année d’exigibilité.

Exemple (déclarant trimestriel) : TVA exigible en 2022 → encore déductible dans la déclaration T3/2025 (et non T4/2025, déposée en janvier 2026, trop tard).

1.3. La forclusion… et l’assouplissement 2025

Passé le délai, le droit est forclos. Toutefois, une circulaire du 28.04.2025 (2025/C/23) admet, dans des conditions strictes, la déduction au-delà des 3 ans lorsque l’assujetti a été objectivement empêché d’exercer son droit à temps — typiquement lorsqu’il reçoit tardivement une facture rectificative émise par un fournisseur belge à la suite d’une erreur antérieure et après l’échéance des trois ans ; il peut alors imputer cette TVA dans la déclaration de la période de réception du document rectificatif, sous références explicites à la circulaire et avec les preuves requises (montant, n° de la facture rectificative, etc.)[2].

À retenir : la « seconde chance » ne vaut pas pour n’importe quel oubli ; elle cible des rectifications intervenues tardivement indépendantes de la volonté du preneur.


2. Restitution de TVA en cas de pertes sur créances (article 77, §1er, 7° CTVA)

La TVA grevant une opération peut être restituée à due concurrence en cas de perte totale ou partielle de la créance du prix[3]. L’action en restitution naît à la date où survient la cause (événement juridique qui « fige » la perte)[4] et se prescrit à l’expiration de la troisième année civile qui suit cette cause[5].

2.1. Principe (perte certaine en comptabilité)

Lorsque la perte est définitivement établie (p. ex. inscription au compte Pertes & Profits au moment où l’irrécouvrabilité est démontrée par tout moyen), le fournisseur délivre un document rectificatif (note de crédit) à son cocontractant et reprend le montant de TVA en grille 64 de sa déclaration de la période d’émission de ce document[6].

Délai : jusqu’à la fin de la 3ᵉ année civile suivant l’année de la perte.

Réversibilité : si le débiteur revient à meilleure fortune et verse ultérieurement des sommes, le fournisseur reverse la TVA correspondante (règle « livre par livre »)[6].

2.2. Exceptions « judiciaires » (pas de note de crédit)

Dans ces cas, la note de crédit n’est pas requise ; la restitution se fait par grille 64, le point de départ et le délai étant fixés par la procédure :

  • Faillite : cause le jour du jugement déclaratif de faillite ; restitution via grille 64jusqu’à la fin de la 3ᵉ année qui suit le jugement[4].
  • Réorganisation judiciaire – accord collectif : cause à la date d’homologation du plan ; grille 64 ; prescription 3 ans à partir de l’homologation[4].
  • Réorganisation judiciaire – accord à l’amiable : cause à la date du jugement qui constate l’accord ; grille 64 ; prescription 3 ans à partir du jugement[4].
  • Réorganisation judiciaire – transfert sous autorité judiciaire : cause à la date du jugement de clôture ; grille 64 ; prescription 3 ans à partir de ce jugement[4].


3. Preuves, écritures et bonnes pratiques

  1. Justifier l’irrécouvrabilité : courriers de rappel, plan de paiement avorté, attestation du curateur, PV d’aveu, jugement, procès-verbal de carence, retours « NPAI », etc. L’inscription en provision ne suffit pas à elle seule.
  2. Document rectificatif (hors cas judiciaires) : numéroter, référencer la facture initiale, ventiler base/TVA, mentionner le motif (perte de créance art. 77, §1er, 7° CTVA), remettre au client.
  3. Déclaration : utiliser la grille 64 (restitutions) à la période adéquate ; pour une déduction tardive (circulaire 2025/C/23), insérer la TVA dans la déclaration courante et documenter en annexe interne le fondement et les références.
  4. Réversibilité : si encaissement ultérieur, reverser la TVA correspondante à la période de l’encaissement.
  5. Fin d’année : quand la fenêtre se ferme au T4, l’administration admet, si la facture correcte est reçue tard au T4, que le droit ne se perde pas si vous notifiez par recommandé avant le 31/12 votre intention d’exercer le droit dans la déclaration du dernier trimestre[2].


4. Exemples didactiques

  • Déduction omise – facture 2022 (trimestriel) : facture émise le 15/12/2022 → exigibilité 2022 → déduction encore possible dans T3/2025. Une imputation en T4/2025 serait tardive (déclaration en janvier 2026).
  • Déduction au-delà de 3 ans : en 2026, votre fournisseur belge vous envoie une facture rectificative (erreur de 2022 révélée en contrôle). Le délai de 3 ans est expiré : vous pouvez déduire en 2026, dans la déclaration de réception de la rectificative, si les conditions de la circulaire 2025/C/23 sont toutes remplies (impossibilité objective, TVA reversée par le fournisseur, références explicites, etc.).
  • Perte certaine (hors procédure) : après démarches infructueuses, vous passez la créance en Pertes & Profits en octobre 2023 ; vous émettez une note de crédit en novembre 2023 et reprenez la TVA en grille 64 de novembre/T4 2023. Délai ultime : T3/2026.
  • Faillite : jugement déclaratif le 29/10/2023grille 64 sans note de crédit, au plus tard T3/2026.
  • Réorganisation judiciaire – accord collectif : homologation le 15/05/2024 → cause à cette date ; grille 64 ; délai ultime T3/2027 (ou octobre 2027 si mensuel).


5. Tableau récapitulatif (causes de restitution – pertes de créances)

Catégorie de créance

Point de départ

Grille

Document rectificatif

Prescription

Réversibilité (art. 79, §1, al. 3 CTVA)

Principe (perte certaine avec inscription au Pertes & Profits)

Date de la perte certaine

64

Obligatoire (note de crédit)

Fin de la 3ᵉ année civile suivant l’année de la perte

OUI (reversement si paiement ultérieur)

Faillite

Jugement déclaratif de faillite

64

Non

Fin de la 3ᵉ année civile suivant le jugement

OUI

Réorg. jud. – accord collectif

Jugement d’homologation

64

Non

Fin de la 3ᵉ année civile suivant l’homologation

NON (abattement acté)

Réorg. jud. – accord amiable

Jugement constatant l’accord

64

Non

Fin de la 3ᵉ année civile suivant ce jugement

NON (abattement acté)

Réorg. jud. – transfert sous autorité judiciaire

Jugement de clôture

64

Non

Fin de la 3ᵉ année civile suivant ce jugement

NON


6. Recommandations Deg & Partners (opérationnelles)

  1. Cartographiez vos échéances : mettez en place un tableau d’âge des créances et un calendrier TVA pointant les dernières déclarations utiles (T3/T12) pour éviter les forclusions.
  2. Distinguez « perte certaine » et « provision » : n’inscrivez au Pertes & Profits qu’avec un faisceau de preuves ; sinon, vous risquez un refus de restitution.
  3. Standardisez vos modèles : adoptez des modèles de notes de crédit « perte de créance – art. 77, §1, 7° » et de recommandés de fin d’année (préservation du droit).
  4. Activez l’option « au-delà de 3 ans » avec prudence : réservez-la aux rectificatives tardives qui répondent à toutes les conditions de la circulaire 2025/C/23 ; documentez systématiquement (références, preuves de reversement par le fournisseur).
  5. Formez vos équipes : comptabilité (grille 64, délais, pièces), recouvrement (preuves d’irrécouvrabilité), ventes (autoliquidation/taux corrects pour éviter la TVA indue).
  6. Faites-vous accompagner : nos équipes TVA & contentieux vous aident à sécuriser vos dossiers (audit d’échéances, préparation de restitution/déduction, gestion des échanges avec l’administration). Ensemble, on va plus loin.


Notes et références

[1] A.R. n° 1, art. 5 : mentions obligatoires de la facture (identité, n° de TVA, dates, base imposable, taux, etc.).
[2] Circulaire 2025/C/23 du 28.04.2025 : déduction au-delà du délai de 3 ans dans des cas exceptionnels (rectificative belge reçue après forclusion ; impossibilité objective ; TVA reversée par le fournisseur ; mention de la circulaire dans la déclaration ; informations requises). Inclut l’acceptation d’une notification avant le 31/12 en cas de réception tardive d’une facture correcte au dernier trimestre, permettant l’exercice du droit dans la déclaration du T4.
[3] Code TVA, art. 77, §1er, 7° : restitution en cas de perte totale ou partielle de la créance du prix.
[4] A.R. n° 4, art. 3 : naissance de l’action en restitution à la date de la cause (faillite : jugement déclaratif ; réorganisation judiciaire : homologation, jugement constatant l’accord ou jugement de clôture en cas de transfert).
[5] Code TVA, art. 82 et 82bis : prescription de l’action en restitution : 3 ans à compter de la cause (appréciée par année civile).
[6] Code TVA, art. 79, §1er : document rectificatif en cas d’erreur ou de restitution sur base de l’art. 77, §1er, 2° à 7° ; reprise en grille 64 ; reversement en cas de paiement ultérieur (« revenu à meilleure fortune »).


Deg & Partners mobilise une équipe dédiée TVA–procédures pour auditer vos dossiers, sécuriser les écritures (grille 64, notes de crédit) et optimiser vos délais.

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