Le nouveau projet de réforme fiscale, dans sa troisième formulation offre quelques réponses aux attentes des contribuables belges. Mais ce projet manque aussi cruellement de vision et d’ambition. Décodage d’un fiscaliste et d’un employeur.
Le Ministre ne conserve finalement qu’une seule dimension de sa large consultation experte : la revalorisation de la quotité exemptée d’impôt (franchise d’impôt à 13.500 euros au lieu de 10.160) et l’élargissement relatif de l’avant dernière tranche d’imposition (tranche de 45% se terminant à 60.000 euros au lieu de 46.460). D’apparence, car dans un jeu tactique le Ministre ajoute toute une série de mesure dont les effets seront désastreux tantôt pour les uns, tantôt pour les autres de sorte que chaque travailleur ne sortira pas gagnant d’un ajustement dont le coût global s’élève à 5,6 milliards et est entièrement (voire plus) compensé (6 milliards pour être exact).
Le projet est habile, car pour imposer son projet le ministre fait un large tour des propriétaires gouvernementaux en quête de « compensation » : de la TVA en plus (surtout) et en moins (sur certains produits), un peu de durable (transport, fruits et légumes), une taxe sur le compte titre doublée (chère à la gauche) et l’absence d’une réforme des rémunérations alternatives (souhait des libéraux) à l’exception des ATN logements et énergies (volonté du Ministre). Les IKW (réunions inter-cabinets) ne manqueront pas de nous surprendre, car elles révèleront la panoplie de couleuvres que chaque ministre est prêt à nous faire avaler pour garantir un simulacre de succès sur une mesure qu’ils pourront porter chacun respectivement.
Premier décodage sur le symbole de cette réforme : le pouvoir d’achat. Mais est-ce bien vrai ? Alors que la pression sur le travail en Belgique conserve un niveau inouï, notre ministre des Finances annonce une baisse significative de cette imposition : 835 euros nets par an pour un travailleur moyen. C’est un pas dans la bonne direction, mais c’est surtout aussi un miroir aux alouettes. Pourquoi ? D’abord, parce qu’en procédant de cette manière, notre pays restera le plus taxé de tous nos voisins pour le niveau de rémunération étalon envisagé. Ensuite, le gouvernement n’apporte qu’une solution concentrée principalement à l’entrée de la taxation. C’est légitime, mais ce n’est pas assez, car le handicap fiscal belge est d’abord logé dans sa progressivité (on taxe trop vite trop haut). Vous êtes soumis aux Pays-Bas à 37% jusque près de 70.000 euros, en France à 30% jusque 78.570 euros ou en Allemagne à 42% jusque plus de 150.000 euros… La différence est très épaisse.
En outre l’effort proposé porte sur 2,6 milliards d’euros en 2024 et 3,3 milliards d’euros finalement en 2026. Ce montant monte de 3 à 400 millions d’euros en base annuelle si vous y ajoutez le coût de l’élargissement de la 3e tranche. Sachant que l’IPP devrait rapporter 60 milliards cette année (budget 2023), il s’agit d’une réduction de 4,5% dans un contexte où l’inflation dépassera probablement encore les 5% cette année… Comprenez : l’ajustement est une chimère. Pendant ce temps, les compensations sont réelles : TVA, comptes titres ou la suppression de toute une série de traitements favorables aux conjoints.
Pire, de nombreuses portes fiscales favorables à l’investissements et l’innovation sont ajustées négativement. Sous un adage favorable, le Ministre réduit en réalité certains stimulants de l’entreprise. Ne serions-nous pas à nouveau en train de nous tirer une balle dans le pied ?
Le Ministre doit prendre conscience de notre époque. Né en 1980, il devrait pourtant rester contemporain. Hélas ! En 2023, le travail et les travailleurs ne sont plus dans le même moule que le siècle dernier. Les jeunes générations ont un rapport au monde du travail qui les détourne progressivement du mode de fonctionnement que chacun de nous avait pris pour une norme inaliénable. Elles se détournent des carrières classiques, en favorisant des « expériences professionnelles », parfois loin des adéquations. Est-il plus intéressant « d’influencer », « de voyager en travaillant », de créer une « start up » tout en levant des fonds ou de louer un « tiny house », des perspectives qui sont aujourd’hui des voies alternatives à considérer.
Conséquence : le marché de l’emploi s’assèche. Les métiers classiques souffrent terriblement en quête de nouveaux collaborateurs dont la valeur et les coûts grimpent durablement.
Lorsqu’une réalité change, les règles doivent également s’adapter. Taxer le travail, lorsqu’il était la principale source de revenu, ne comportait hier aucun effet. Tel n’est plus le cas. Le travail est une valeur en perdition, tandis que la consommation est inébranlable et puissante. Ne nous trompons-nous pas de combat ? Le Ministre doit être responsable : il doit donc taxer moins le travail pour le redynamiser et revoir les revenus sur d’autres bases. Toute compensation sur le travail est illusoire et inappropriée.
Face à un État surendetté, il est difficile de se lancer dans une réforme sans présenter des modalités de compensation. Augmenter la TVA est donc un élément intéressant de la réforme, mais il devrait se présenter davantage comme un levier de cette dernière, et non pas comme une simple compensation arithmétique. Une réforme est d’abord et avant tout un ajustement politique et non un simple correctif comptable. S’il est bien taillé il produit en ce sens des effets notables. Celui que nous devrions chercher ici, c’est celui de l’encouragement à travailler. Si le projet fonctionne, les effets sur le budget de l’Etat seront considérables, car un contribuable qui travaille ne coûte plus rien, mieux il cotise et transforme une situation très déficitaire (publiquement) au profit d’une situation vertueuse et contributive.
Aujourd’hui, il est évident que le travail doit contribuer moins et le patrimoine plus. Mais le patrimoine n’est pas pour chaque belge une réalité. Augmenter la pression sur le patrimoine doit tenir compte davantage des réalités de 2023. Taxer un capital qui fond face à une inflation non compensée en raison des politiques publiques très favorables aux États (« quantitative easing ») est un acte de double taxation. Mais, à nouveau, le Ministre n’en a cure.
Ce qui n’empêche que nous pensons qu’il est raisonnable que les plus fortunés se montrent solidaires. C’est juste et acceptable. Reste à définir le juste équilibre.
Cette opinion a également été publiée dans L’écho