
Dans le cadre exceptionnel du Congrès des experts-comptables (FFF) et du salon AVEC, la plateforme oFFFcourse a organisé une série d'émissions en direct pour analyser les enjeux qui redéfinissent l'économie et la fiscalité belges. Pour ce décryptage complet de la réforme fiscale, surnommée « Arizona », un panel d'experts de premier plan — incluant Sabrina Scarna, Thierry Tancré, Grégory Homans et Katia Delfin Diaz — a livré une analyse sans concession des mesures envisagées. L'enjeu : décrypter la cohérence, l'impact et les véritables motivations d'un projet qui, après plusieurs versions, suscite plus d'inquiétudes que d'enthousiasme auprès des professionnels du chiffre.
La Belgique a longtemps été perçue comme une terre d'accueil pour les investisseurs grâce à son régime d'exonération des plus-values réalisées dans le cadre de la gestion normale d'un patrimoine privé. L'introduction d'une taxation généralisée marque un tournant majeur. « C'est un véritable bouleversement dans notre patrimoine fiscal », affirme d'emblée Sabrina Scarna. Si des taxations existaient déjà pour les plus-values internes ou spéculatives, le principe général restait l'exonération pour l'investisseur prudent.
Le véritable danger, selon Thierry Litannie, réside dans le mécanisme même de la nouvelle taxe. Pour bénéficier de l'exonération annuelle ou imputer des moins-values, le contribuable devra les déclarer. « Le contribuable crédule, pensant que c'est pour son bien, [...] va sortir du bois », prévient-il. En s'identifiant, il fournira à l'administration une mine d'informations pour analyser ses opérations passées, ouvrant la porte à des requalifications bien plus lourdes : opérations spéculatives taxées à 33 % ou même revenus professionnels. La taxation à 10 % pourrait n'être qu'un « hors-d'œuvre par rapport au plat consistant qui pourrait être de traiter sur le fond la matière ».
Le sort des régimes VVPR-bis et de la réserve de liquidation a été l'un des points chauds des négociations. Les informations obtenues confirment un durcissement : le taux de taxation passera à 18 % pour les nouveaux bénéfices distribués via ces régimes à partir du 1er janvier 2026. Les réserves de liquidation constituées avant cette date conserveront l'ancien régime, à condition que les conditions soient respectées.
Cette mesure est perçue par les experts comme une augmentation de 20 % de la pression fiscale sur les PME et le fruit d'un dogmatisme politique. L'amalgame fait entre les sociétés de management et l'ensemble des sociétés professionnelles est particulièrement critiqué. Comme le souligne un intervenant, « juridiquement, une société de management, ça n'existe pas ». En réalité, ce sont toutes les petites entreprises et les professions libérales structurées en société qui sont visées. « On vient te punir de profiter d'un régime qui a été créé pour toi pour que tu investisses », résume un expert, pointant l'incohérence d'un gouvernement qui prétend soutenir l'entrepreneuriat tout en rendant sa fiscalité moins attractive.
Face à cette nouvelle donne, les stratégies d'investissement et de détention de patrimoine vont devoir être repensées. Grégory Homans anticipe une évolution vers des modes de détention indirects comme les SICAV de capitalisation ou l'assurance-vie (Branche 23), qui permettent de temporiser l'imposition.
Cependant, la réforme introduit des complexités et des angles morts aux conséquences potentiellement lourdes. Un des points de friction majeurs réside dans la dichotomie entre le droit civil et le droit fiscal, notamment sur la taxation des plus-values en cas de donation avec réserve d'usufruit. Le projet de loi attribue l'impôt au nu-propriétaire, alors que le droit civil peut allouer la plus-value à l'usufruitier, créant un risque de conflits familiaux. De plus, la sortie d'indivision d'un portefeuille-titres suite à une donation serait considérée comme une cession à titre onéreux, déclenchant l'impôt sur la plus-value, un frottement fiscal majeur que les rédacteurs semblent avoir ignoré.
Thierry Tancré a lancé une alerte particulièrement forte concernant l'immobilier. La suppression de la déduction des intérêts pour les emprunts hypothécaires existants est qualifiée de « manière la plus sournoise qui soit » de créer de la base imposable. Cette mesure, appliquée rétroactivement, pourrait rendre de nombreux investissements locatifs non rentables. « Si j'ai besoin de chacun de mes loyers pour rembourser mon banquier, je n'ai qu'une alternative, vendre », analyse-t-il. Il conclut avec une formule choc : « On était déjà à peu près les champions du monde de l'impôt sur les revenus. [...] Maintenant on vient d'inventer l'impôt sans le revenu. »
Au-delà des mesures techniques, c'est l'incohérence flagrante des décisions qui a été vivement critiquée. Les intervenants dénoncent une logique de « work in progress » où les versions du projet de loi se contredisent, rendant tout conseil juridique périlleux. Les exemples abondent, de la TVA sur le sport (passant de 6 % à 12 %) et les boissons sucrées (baissant de 21 % à 6 %), à l'avantage fiscal pour les voitures hybrides annoncé puis annulé.
Pour les analystes, ces revirements prouvent que la réforme n'est guidée par aucune vision économique à long terme. « Il ne s'agit pas du tout de gouverner un pays. Il ne s'agit pas du tout d'avoir une logique économique », lance un expert, ajoutant une formule choc : « Il s'agit simplement de s'emparer légalement du bien d'autrui. Il n'y a pas beaucoup de différences en termes intellectuels entre le gouvernement belge et la mafia tchétchène. Seules les méthodes d'extorsion divergent. » Cette superposition des règles ne fait qu'augmenter l'illisibilité et, par conséquent, les stratégies d'évitement ou de délocalisation, une tendance confirmée par Sabrina Scarna qui voit les demandes sur l'opportunité de quitter le territoire se multiplier.
La qualité des échanges lors des émissions oFFFcourse a mis en lumière la densité et la complexité de la réforme Arizona. Loin d'être un simple ajustement, elle constitue une rupture qui obligera les professionnels du chiffre, les fiscalistes et les dirigeants à repenser en profondeur leurs stratégies. Les analyses livrées par nos experts démontrent l'importance de suivre l'ensemble des émissions oFFFcourse pour disposer des clés de lecture indispensables à la navigation dans ce nouvel environnement fiscal. Les signaux sont clairs : l'anticipation et le conseil avisé seront plus que jamais nécessaires.