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Salarié et administrateur d’une même ASBL: jusqu’où le cumul est-il possible — et à quelles conditions ?

Dans de nombreuses associations, l’évolution d’un cadre salarié vers un mandat d’administrateur répond à une logique d’engagement et de professionnalisation. La question n’est toutefois pas purement organisationnelle : elle touche au droit du travail, au droit des associations et à la gouvernance. Le présent article expose, dans un style volontairement académique et pédagogique, les conditions de validité du cumul, les risques de requalification et les bonnes pratiques qui sécurisent le dispositif. Notre ambition est double : éclairer la règle et outiller la décision. Chez Deg & Partners, nous mobilisons à la fois l’analyse juridique et la mise en conformité opérationnelle ; c’est ce binôme qui protège durablement votre ASBL — et ses responsables.


1. Deux statuts, deux logiques juridiques

Pour situer le débat, rappelons brièvement les contours juridiques des deux statuts, puis expliquons pourquoi leur coexistence est délicate.

Afin de rendre la lecture plus lucide, indiquons d’abord les définitions en présence :

  • Le travailleur salarié exécute des prestations rémunérées sous l’autorité de l’employeur (l’ASBL, représentée par son organe d’administration). Cette relation de subordination est l’élément cardinal du contrat de travail.
  • L’administrateur agit en qualité de mandataire de l’association : il participe à la définition de la stratégie, à la surveillance et à la prise de décision. Son mandat relève, en principe, d’un statut d’indépendant (non subordonné).

La coexistence n’est pas, en soi, interdite par la loi : elle exige de maintenir une frontière nette entre les deux sphères, faute de quoi l’on verse dans la confusion des rôles (un salarié ne peut être son propre employeur). Le Code des sociétés et des associations (CSA) encadre l’organisation interne des ASBL, leurs organes et les situations de conflits d’intérêts ; le droit social (ONSS) qualifie la relation de travail et la rémunération₁ .

Que retenir ?

Le cumul n’est pas prohibé, mais il n’est licite que si l’on distingue clairement les prérogatives du contrat de travail (subordination) et celles du mandat d’administrateur (indépendance et décision).


2. Les deux conditions-cadres du cumul : distinction des tâches et subordination effective

La pratique impose deux conditions cumulatives ; leur respect doit être décrit et prouvé.

Pour éviter toute ambiguïté, il convient d’énoncer précisément les exigences applicables au cumul :

  1. Des tâches distinctes. Les missions du salarié (p. ex. coordination opérationnelle, gestion de projets, reporting, animation d’équipe) ne peuvent se confondre avec celles de l’administrateur (définition de la politique, contrôle budgétaire, décisions sur les orientations, approbation des comptes). Les descriptions de fonction doivent refléter cette séparation.
  2. Une subordination démontrable. Le salarié doit être placé et demeurer sous l’autorité de l’organe d’administration (ou d’une délégation valide), au travers d’instructions, d’un contrôle des horaires/absences, d’une hiérarchie claire et de procédures RH (entretiens, évaluations). L’employeur ne peut être, en réalité, le salarié lui-même : procès-verbaux, règlement de travail et circuits de validation doivent rendre la subordination vraisemblable et effective.

Que retenir ?

Sans séparation fonctionnelle et sans subordination réelle, le cumul est fragile : il s’expose à une requalification (sociale/fiscale) et à des critiques de gouvernance.


3. La piste sécurisante de la « gestion journalière » (administrateur délégué)

En pratique, beaucoup d’ASBL recherchent un équilibre entre réactivité et contrôle. Le mandat de gestion journalière en est souvent la cheville ouvrière.

Avant d’en détailler l’intérêt, rappelons dans quel cadre il s’inscrit :

  • La gestion journalière couvre les actes nécessaires à la vie quotidienne de l’association, ceux qui ne justifient pas l’intervention du conseil, en raison de leur moindre importance ou de leur urgence (au sens du CSA).
  • Lorsque l’activité principale d’une personne consiste à gérer ou diriger quotidiennement l’ASBL contre rémunération, il existe une présomption irréfragable de statut de travailleur au sens ONSS (art. 3, 1°, AR d’exécution de la loi ONSS du 27.06.1969)₃. La personne est donc salariée pour ces fonctions, ce qui sécurise la qualification sociale.

Cette option présente deux atouts : elle clarifie la frontière (le salarié gère le quotidien ; le conseil décide des orientations) et elle documente la relation de subordination (contrat de travail + délégation écrite).

Que retenir ?

Le mandat d’administrateur délégué à la gestion journalière, rémunéré comme salarié, constitue un cadre robuste : il prévient la confusion des rôles et sécurise la qualification sociale.


4. Rémunération : gratuité de principe, jetons de présence, défraiements et prestations distinctes

La rémunération d’un administrateur d’ASBL n’est pas un tabou, mais elle est encadrée : raisonnabilité, transparence, conflits d’intérêts.

Afin d’éviter les dérives, synthétisons les régimes usuels :

  • Gratuité de principe du mandat d’administrateur, sans préjudice du remboursement de frais (réels) et des défraiements de volontariat (plafonds légaux).
  • Jetons de présence : possible, mais leur niveau doit rester raisonnable (principe de non-enrichissement de l’ASBL) ; au-delà de seuils, l’administrateur devient assujetti comme indépendant.
  • Rémunération salariale pour des prestations distinctes (contrat de travail séparé, tâches non décisionnelles, subordination effective).
  • Cumul salarié/administrateur : vigilance accrue sur le conflit d’intérêts ; lorsque la décision concerne le salarié-administrateur, celui-ci ne participe pas au vote et son abstention est actée au procès-verbal (règles CSA).

Que retenir ?

On peut payer correctement — mais à bon droit : mandat (gratuit ou jetonné), volontariat (plafonds), emploi (salaire). Le respect des frontières et des procédures fait la différence.


5. Gouvernance : conflits d’intérêts, bonnes pratiques et contrôle des pouvoirs subsidiants

Au-delà du droit strict, une éthique de gouvernance s’impose, d’autant plus si des pouvoirs subsidiants sont en jeu.

En pratique, les ASBL gagneront à formaliser les éléments suivants :

  • Politique de conflits d’intérêts (CSA) : information préalable au conseil, abstention de l’administrateur concerné, motivation de la décision dans l’intérêt de l’ASBL et consignation au PV.
  • Statuts et ROI : clauses limitant la concentration des pouvoirs (p. ex. plafonds de jetons, incompatibilités internes, comité d’audit/nomination).
  • Pouvoirs subsidiants : certaines autorités imposent des restrictions (interdiction du cumul, quotas de salariés au CA, représentation d’usagers). Il faut vérifier les conventions et s’y conformer.
  • Traçabilité : fiches de fonction, délégations, circuits de signature et de contrôle.

Que retenir ?

La gouvernance n’est pas cosmétique : c’est le socle probatoire qui protège l’ASBL et ses administrateurs — y compris lors d’un contrôle (social, fiscal, subventionnel).


6. Sécuriser le cumul : processus en six étapes (check-list opérationnelle)

Avant de nommer un salarié au CA, structurez la démarche en étapes logiques ; chacune répond à un risque identifié.

Pour gagner en robustesse, suivez la séquence ci-après :

  1. Cartographie des tâches : dresser deux descriptions de fonction étanches (salarié vs. administrateur) ; identifier les zones grises et les retirer du périmètre salarié.
  2. Subordination : prévoir une ligne hiérarchique explicite, des objectifs, un régime horaires/absences et des évaluations ; désigner un référent (autre que la personne).
  3. Conflits d’intérêts : intégrer une clause d’abstention automatique, organiser le quorum sans la personne concernée, former le CA à la procédure.
  4. Rémunérations : fixer une politique (jetons, défraiements) et contrôler la raisonnabilité ; distinguer les flux (paie vs. jetons/frais) et leur assujettissement.
  5. Gestion journalière : si nécessaire, octroyer un mandat de gestion journalière ; si la fonction est principale et rémunérée, activer la présomption salariée (ONSS).
  6. Saisine de la Commission : lorsque les faits sont complexes (frontières ténues), solliciter un avis non contraignant ou un ruling auprès de la Commission administrative de règlement de la relation de travail₃.

Que retenir ?

La méthode compte autant que la règle : en documentant chaque étape, vous réduisez les risques de requalification et stabilisez la gouvernance.


7. Risques juridiques et fiscaux : mieux vaut prévenir que guérir

Un cumul mal bordé peut déclencher des conséquences en chaîne ; il faut les connaître pour les prévenir.

Pour mesurer l’enjeu, synthétisons les principaux risques :

  • Social (ONSS) : requalification du mandat en emploi (cotisations, majorations), si la subordination transparaît ; à l’inverse, contestation d’un emploi si l’autonomie prime.
  • Fiscal : requalification de jetons en rémunération (précompte, cotisations) ; déduction de frais contestée si l’intérêt de l’ASBL n’est pas démontré.
  • Gouvernance : nullité ou inopposabilité de décisions en cas de conflits d’intérêts mal traités ; clauses subventionnelles violées (remboursements, sanctions).
  • Responsabilité : mise en cause des administrateurs (faute de gestion) en cas de confusion des rôles, défaut de contrôle ou d’abstention.

Que retenir ?

La prévisibilité se construit : procédures, preuves, formation du CA et revue périodique (audit de conformité) constituent votre meilleure assurance.


Tableau de synthèse et recommandations

Question-clé

Ce que dit le droit

Bonnes pratiques Deg & Partners

Risques si négligé

Cumul salarié/administrateur

Possible si tâches distinctes et subordination réelle (droit du travail + CSA)₁

Deux fiches de fonction, circuits de validation, PV détaillés

Requalification sociale, confusion des rôles

Gestion journalière

Mandat couvrant les actes du quotidien ; si activité principale rémunéréeprésomption salariale ONSS₂

Contrat de travail + délégation écrite ; périmètre et rapports

Contestation du statut, cotisations et pénalités

Rémunérations

Mandat gratuit par principe ; jetons possibles (raisonnables) ; frais remboursables ; salariat pour prestations distinctes

Politique écrite (plafonds/flux), contrôle de l’assujettissement

Redressement fiscal/social, image ternie

Conflits d’intérêts

Procédure CSA : information, abstention, motivation, PV

Formulaire standard d’auto-déclaration, formation du CA

Nullité/inopposabilité, mise en cause d’administrateurs

Pouvoirs subsidiants

Clauses parfois restrictives (quotas, incompatibilités)

Revue contractuelle annuelle, alignement statutaire

Perte de subventions, sanctions contractuelles

Sécurisation ex ante

Commission (avis/ruling) pour les cas ambigus₃

Dossier complet à l’appui (organigrammes, tâches, flux)

Inertie, contentieux, incertitude durable


Recommandations (priorisées)

  1. Tracer une frontière : tâches opérationnelles au contrat de travail ; tâches décisionnelles au mandat — et le prouver (fiches, PV, délégations).
  2. Institutionnaliser la subordination : hiérarchie, évaluations, procédures RH — surtout si la personne siège au CA.
  3. Formaliser la procédure conflits d’intérêts : modèles, abstentions automatiques, quorum de repli.
  4. Encadrer les flux financiers : politique de jetons/frais, seuils de raisonnabilité, contrôle de l’assujettissement.
  5. Sécuriser via la gestion journalière lorsque pertinent, et reconnaitre le statut salarié si les critères ONSS sont rencontrés.
  6. Solliciter la Commission en amont pour les configurations délicates (avis ou ruling), puis auditer annuellement la conformité.


Nommer un salarié au conseil d’administration peut renforcer la cohérence stratégique d’une ASBL — à condition d’ériger des garde-fous : frontière des tâches, subordination effective, rémunération proportionnée, procédures de conflits d’intérêts et, lorsque pertinent, gestion journalière sous statut salarié.

Notre approche, chez Deg & Partners, consiste à architecturer la solution : cartographie des fonctions, mise en conformité CSA/ONSS, rédaction des délégations et PV, politique de jetons/frais, et, si nécessaire, saisine de la Commission. Ensemble, nous transformons un risque latent en levier de professionnalisation — dans l’intérêt durable de votre association.


Références

Code des sociétés et des associations (CSA) – Livre 9 (Associations et fondations) : organisation, compétences des organes, conflits d’intérêts ; Loi du 23 mars 2019 (MB 04.04.2019).

AR d’exécution de la loi ONSS du 27 juin 1969, art. 3, 1° : présomption irréfragable de salariat pour les personnes dont l’activité principale consiste en la gestion ou direction quotidienne d’une ASBL contre rémunération (définition du « travailleur » aux fins de sécurité sociale).

Commission administrative de règlement de la relation de travail (CARLT) — Procédure d’avis non contraignant / ruling contraignant en qualification de la relation de travail (site officiel : procédure et formulaires).

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