
Dans le cadre effervescent du Congrès des experts-comptables et du salon AVEC, la plateforme oFFFcourse a poursuivi sa série de décryptages en direct des grandes transformations qui impactent la profession. Une véritable "dream team" d'experts a été réunie pour aborder un sujet brûlant : l'avenir de la société de management et les multiples facettes de la réforme fiscale en cours. Autour de la table, Sébastien Thiry (avocat fiscaliste), Julien Limborg (expert-comptable), Pierre-Philippe Hendrickx (avocat fiscaliste) et Lionel Wielemans (Tax Director) ont décortiqué les annonces, analysé les textes et anticipé les conséquences pour les entreprises et leurs conseils. L'enjeu était de taille : apporter de la clarté dans un paysage réglementaire devenu particulièrement mouvant et complexe, où les mesures annoncées, votées et projetées s'entremêlent.
Le premier message clé de l'échange, porté par Sébastien Thiry, est la fragmentation du processus de réforme. Il ne s'agit pas d'un bloc monolithique, mais d'un ensemble de textes à des stades d'avancement très différents, créant une incertitude majeure. La situation est d'autant plus instable que, selon la formule parlante de l'avocat, ce qui est voté « va peut-être être déjà détricoté ». La loi-programme de l'été, qui a acté les nouvelles règles pour le VVPR-bis et les réserves de liquidation, en est l'illustration parfaite. À peine adoptée, elle est remise en question par l'accord budgétaire récent visant à faire passer le précompte mobilier du régime VVPR-bis de 15 % à 18 %.
Ce puzzle législatif se compose de plusieurs pièces : une loi-programme déjà en vigueur mais sur la sellette ; un projet de loi portant dispositions diverses dont le vote est attendu avant la fin de l'année pour une application au 1er janvier 2025 ; et deux avant-projets de loi plus embryonnaires (taxation des plus-values, réforme de la rémunération minimale) qui ne devraient pas être votés avant 2025, voire 2026, mais avec une application rétroactive annoncée.
L'un des points les plus critiques soulevés lors du débat est la faisabilité de la rétroactivité annoncée, notamment pour la taxation des plus-values. Pierre-Philippe Hendrickx a clairement mis en doute la légalité d'une telle manœuvre. « Il y a quand même la Constitution qui dit qu'il ne peut pas y avoir d'impôt sans une loi », a-t-il rappelé avec force. Le projet initial, qui prévoyait que les banques prélèvent la taxe dès le 1er janvier 2026 alors même que la loi ne serait pas encore publiée, est jugé juridiquement intenable. « Je vois pas non plus à quel titre les banques retiendraient la taxe sur les plus-values qui n'existe pas encore », a poursuivi l'avocat. L'alternative la plus probable serait une obligation déclarative imposée a posteriori au contribuable, ce qui promet une complexification administrative considérable. « Bonjour la simplification de la déclaration fiscale, on va s'amuser », a-t-il ironisé.
Au-delà des aspects techniques, le principal danger identifié par les experts est la « stigmatisation » de la société de management. Le discours politique semble la cibler spécifiquement, mais l'analyse révèle une réalité plus nuancée. La hausse du taux du VVPR-bis à 18 % « ne touche pas que les sociétés de management, ça touche en réalité toutes les PME qui peuvent distribuer du dividende », a souligné Julien Limborg.
Les simulations chiffrées présentées par l'expert Julien Limborg sont éclairantes : l'impact sur le net en poche du dirigeant est marginal. « C'est juste qu'on va avoir peut-être un petit peu plus de rémunération, un petit peu moins de dividendes et l'un dans l'autre ça va s'équilibrer ». La conclusion est unanime : la société de management reste un outil pertinent. Face à une taxation à l’IPP qui dépasse rapidement les 50 %, « la seule solution pour ne pas sortir quasi la totalité de la rémunération en taxe, c'est de travailler avec une société de management », résume un participant. Le véritable enjeu n'est donc pas tant la remise en cause du modèle que la pression administrative accrue. « Il suffit que l'administration durcisse ses vagues de contrôle », analyse Sébastien Thiry, invitant les professionnels à sécuriser les mécanismes en place.
La quête de recettes du gouvernement pourrait se heurter à un effet pervers. Les experts anticipent que la complexification des règles pourrait pousser de nombreux dirigeants à renoncer au bénéfice du taux réduit à l'ISOC. Un intervenant résume le dilemme : « Certaines personnes se disent clairement : OK, le taux d'imposition à 20%, je le laisse tomber, j'organise les choses autrement. »
La conséquence serait un glissement de la base taxable : une baisse des rémunérations soumises à l'IPP et aux cotisations sociales, compensée par des formes de rémunérations alternatives. Ce vase communicant pourrait anéantir les prévisions de recettes. L'augmentation du taux ISOC de 20% à 25% sur la première tranche ne compenserait pas la perte de revenus à l'IPP. C'est un décalage fondamental « entre ceux qui font l'exercice budgétaire et qui jouent sur des Tableurs Excel [...] et la réalité du terrain qui fait que les contribuables s'adaptent ».
Face à cette instabilité, l'immobilier devient un refuge stratégique. La suppression annoncée de la déduction des intérêts d'emprunt pour les biens détenus en personne physique (applicable au 1er janvier 2025) est un tournant. Pour les patrimoines conséquents, la structuration en société devient une option de plus en plus attractive. Pierre-Philippe Hendickx anticipe une réforme globale : « Je crois qu'on va vers un système de réforme de fiscalité immobilière avec une taxation des loyers réels ». Dans cette perspective, « la société me paraît être le véhicule idéal ».
Au-delà de la gestion, la société immobilière est un puissant outil de transmission. Sébastien Thiry met en lumière cet avantage : « Si mon but c'est de constituer un gros patrimoine, pas pour le revendre plus tard mais pour le transmettre aux enfants, là, la société immobilière présente un attrait important ». Donner des actions d'une société familiale est en effet fiscalement bien plus avantageux que de transmettre un patrimoine immobilier détenu en direct.
Pour les experts-comptables et les fiscalistes, cette situation impose une vigilance extrême et une communication prudente.
Impact sur le conseil : Conseiller un client sur une distribution de dividendes ou la constitution d'une réserve de liquidation devient un exercice périlleux. La stabilité fiscale à moyen terme n'est plus garantie. Il faut anticiper une fenêtre d'opportunité pour distribuer les réserves avant fin 2025 pour bénéficier du taux de 15 %.
Conséquences réglementaires : La potentielle rétroactivité de la taxation des plus-values obligerait les professionnels à anticiper des obligations de reporting qui n'existent pas encore.
Signaux stratégiques : Le message politique est clair : les revenus du capital, même au sein des PME, sont dans le viseur. La distinction entre "bons" et "mauvais" revenus mobiliers devient floue. De plus, la taxation des plus-values "internes" à 33 % risque de fragiliser les transmissions familiales. « Si ce genre d'opération est considéré comme une plus-value interne [...] le vendeur il vend à un tiers », prévient Pierre-Philippe Hendrix.
Cet échange dense et analytique démontre, s'il en était besoin, la complexité de l'environnement fiscal actuel. La qualité des interventions a permis de dépasser le simple énoncé des mesures pour en révéler les contradictions, les risques juridiques et les implications stratégiques. Plus que jamais, le rôle de l'expert-comptable et du fiscaliste est de décrypter, d'anticiper et de guider. Suivre l'ensemble des émissions oFFFcourse s'avère essentiel pour disposer des clés de lecture nécessaires afin de conseiller au mieux les entreprises dans ce brouillard réglementaire.