Et si Thomas Malthus avait encore raison ?

Pour l'économiste britannique, à long terme, le progrès économique n'augmente pas le revenu moyen. Une chronique de Charles Markowicz, expert-comptable certifié, publiée ce week-end dans la Libre Économique.

Thomas Malthus était un pasteur anglais né en 1766 et décédé en 1834. Plus que pour son activité religieuse, il reste renommé pour son travail économique. Sa théorie repose sur de nombreuses statistiques. Selon celle-ci, depuis le début de l'ère chrétienne jusqu'au XVIIIe siècle, le niveau de vie moyen de la population n'a pas augmenté. Certains affirment même que ses conclusions sont valables depuis la lointaine époque de l'homme cueilleur-pêcheur. Si Malthus reste une référence commentée par de nombreux économistes, c'est aussi désormais pour invalider sa théorie pour la période qui débute avec la Révolution industrielle. Néanmoins, il pourrait encore avoir raison si l'on fait l'hypothèse que le dernier cycle à examiner, bien plus long que les antérieurs, ne serait pas encore terminé.

De nombreux économistes invalident désormais sa théorie pour la période qui débute avec la Révolution industrielle.

Analyses à l'appui, la théorie malthusienne démontre que l'amélioration de la productivité alimentaire que nos aïeuls et ancêtres connurent n'augmenta ni le bien-être, ni le revenu de la population à long terme. À court terme peut-être mais pas à long terme.

Pourquoi ? Parce qu'au fil des siècles et des pays, lorsqu'une amélioration productive apparaissait, les familles qui pouvaient en bénéficier voyaient certes leurs revenus augmenter mais en profitaient pour avoir plus d'enfants. De sorte qu'après une ou deux générations, les quantités de nourriture disponibles ne suffisaient plus à nourrir la population agrandie. Il n'était pas encore question de la mondialisation, il faut donc se rappeler qu'il y avait des frontières, économiques, politiques et géographiques. Des famines aussi, parfois causées par des catastrophes naturelles comme la peste.

Avec, comme conséquence majeure, la mort de nombreux enfants et adultes, y compris les personnes nécessaires pour la production de l'alimentation, laquelle chutait fortement, inévitablement. Il fallait attendre un nouveau progrès significatif de production et de productivité pour inaugurer un nouveau cycle de plusieurs générations.

Un cercle vertueux

Malthus n'est plus là pour confirmer ou non la validité de sa théorie après le XVIIIe siècle mais cela n'empêche pas d'autres économistes de le faire. Certains l'invalident à partir de la Révolution industrielle, au motif qu'il ne s'agit plus d'améliorations alimentaires mais de la naissance de l'industrie dont les progrès exponentiels dépassent les besoins de la population. Celle-ci continuant d'abord à grandir puis stagnant dans les pays développés.

Dans le berceau de l'industrialisation, en Angleterre, Allemagne et Belgique notamment, les familles s'agrandissent sans risque de famine car leurs revenus restent stables avec le temps qui passe. Ces revenus vont même progresser. Un cercle vertueux se met alors en place.

Les progrès technologiques nécessitent une main-d'œuvre plus compétente ; cette demande favorise ainsi la formation générale et l'enseignement obligatoire pour tous les enfants. Sous l'impulsion de la hausse du niveau de vie notamment des femmes et de leur accès au monde du travail, la natalité baisse en Europe qui s'écarte dès lors des cycles malthusiens.

L'Europe fut la championne durant cette période de développement technique, économique, social et de la connaissance, limitant petit à petit le travail des enfants. En Angleterre comme ailleurs, des études montrent que le taux d'adultes survivants était supérieur dans les familles qui investissaient en l'humain, à savoir qui envoyaient leurs enfants à l'école.

Le sentiment que la vie coûte toujours plus cher

L'économiste Oded Galor rapporte que le revenu par citoyen du monde fut multiplié par 10 entre 1870 et 2018. Les distorsions entre pays sont grandes puisque ce ratio est de 12 en Europe mais stagne à 4 en Afrique. Et de grandes disparités existent parfois entre citoyens d'un même pays. Le développement industriel n'est pas le seul facteur qui explique la croissance des revenus. Les modèles politiques et culturels semblent avoir aussi leur influence, cet économiste illustrant son propos en comparant la Corée du Nord à la Corée du Sud.

La constatation de la croissance du revenu individuel dans le temps contraste avec le sentiment général que la vie coûte toujours plus cher. L'explication est peut-être que si le revenu brut augmente, le revenu disponible paraît baisser. De plus, l'allocation du revenu en 2024 n'est pas identique à celle de 1970, ce qui contribue aussi au sentiment de moindre pouvoir d'achat. La part du coût du logement dans le revenu net est peut-être supérieure ; pour les loisirs et la communication, cela ne fait guère de doute.

Il est aussi possible que la théorie malthusienne se vérifie encore mais que le cycle économique soit beaucoup plus long qu'avant la Révolution industrielle. De manière générale, les citoyens occidentaux surconsomment depuis quelques décennies et profitent de la croissance sans se soucier des ressources limitées de la planète. Ceci peut faire penser que notre surconsommation est un prélèvement de revenu futur ou un report de coût. En tenir compte validerait la théorie malthusienne selon laquelle à long terme, la hausse de la productivité (non plus uniquement alimentaire) n'augmente pas le revenu moyen par habitant.

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