Lors de la vraie première révolution, celle de l’amélioration de la machine à vapeur par James Watt, de nombreux conflits sociaux, combinés à une terrifiante oppression du prolétariat, se répandirent progressivement sur l’Europe dont l’économie était essentiellement agricole. Loin de moi l’idée de réfuter que ce fut le début d’une prodigieuse vague d’innovation, qui améliora toutes les autres révolutions industrielles successives : pétrole, électricité, information, nucléaire, etc. Sans l’invention d’un chercheur anglais du XIXe siècle, l’homme n’aurait pas pu mettre le pied sur la Lune.
Mais cette révolution industrielle conduisit à des luttes sociales, très bien analysées par Karl Marx, et dont les exemples flottent encore dans les livres d’histoire. Je pense, entre autres, dans le domaine textile, aux canuts et luddites. Des hommes utilisèrent donc leur force physique pour détruire des machines qui leur ôtaient l’utilité… de leur propre force physique.
Mais aujourd’hui, avec l’intelligence artificielle dont les balbutiements sont à nos cerveaux ce que les machines de Watt furent aux corps de nos aïeux, que va-t-il se passer ?
Il n’y aura aucune révolution contre des machines dont l’accès est d’ailleurs digital. Aucun serveur ne sera brisé. Ce sera au contraire la soumission et la paresse intellectuelle qui vont s’installer, avec la perte du jugement critique.
Nous ne contesterons pas la machine, nous nous loverons dans son omniscience, en déléguant toute pensée critique ou disruptive à des normes qui ne seront plus que le produit d’une pensée convenue et standardisée. Notre pouvoir d’achat et notre autonomie de consommateur en seront exténués, au même rythme que la déliquescence des cerveaux de ceux qui n’auront pas le caractère de résister à cette asthénie , car cette révolution cognitive, comme la précédente, posera la question du partage des gains de productivité qui seront évidemment aspirés de l’humain par les grandes firmes technologiques.
Alors, l’aboutissement terrible dans nos sociétés gorgées de bien-être indu sera peut-être l’assoupissement dans une douce sédation chimique.
Et qui sait - science-fiction ? - la pilule du bonheur qui permettra, dépouillé de tout effort physique et cognitif, de regarder le temps passer sans plus d’anxiété.