Pourquoi la BCE suit-elle la dynamique des salaires de près ?​

L'inflation élevée soulève des préoccupations quant à son impact sur les salaires et les coûts. En Belgique, l'ajustement rapide des salaires, du fait de l'indexation automatique, contraste avec le processus plus graduel dans la zone euro. Dans les deux cas, la croissance de la productivité n'a cependant pas suffi à contenir les coûts, ce qui induit une pression sur les prix.

Contexte

  • Parmi une série d’indicateurs clés susceptibles d’influencer l’inflation, la BCE suit de près l’évolution des salaires. Le risque sous-jacent est de voir se former une spirale de hausses des salaires et des prix qui s’alimentent mutuellement. Ce risque revêt de l’importance lorsqu’il s’agit de décider d’abaisser ou non les taux d’intérêt.
  • En général, la fixation des salaires s’effectuant à intervalles espacés, il faut plusieurs années pour que les salaires s’ajustent pleinement à un choc inflationniste. En Belgique, en revanche, le mouvement de rattrapage des salaires s’est enclenché rapidement, en raison du caractère automatique de leur indexation aux prix.
  • Le processus de rattrapage des salaires soulève des questions concernant la potentielle persistance de l’inflation sous-jacente. Plusieurs indicateurs laissent présager que, bien que la croissance des salaires reste historiquement élevée, le risque d’une spirale salaires-prix demeure limité. Les augmentations de coûts ont été partiellement absorbées par la compression des marges bénéficiaires des entreprises, ce qui a tempéré l’inflation intérieure. Les indicateurs prospectifs signalent une modération de la hausse des salaires.

La BCE a laissé ses taux inchangés en avril 2024, soulignant que « les tensions sur les prix d’origine interne sont fortes et maintiennent la hausse des prix des services à un niveau élevé ». Les décisions à venir en matière de taux dépendront de l’appréciation de la dynamique des salaires et des prix d’une part, et la vigueur de la transmission de la politique monétaire d’autre part, ainsi que de l’évaluation des perspectives d’inflation sur la base des données économiques et financières entrantes. Cet article étudie l’interdépendance entre les salaires et l’inflation (sous-jacente), de même que les défis qui en découlent pour les décisions de politique monétaire. L’évolution en Belgique est comparée à celle observée en moyenne dans la zone euro.

Le rattrapage des salaires a été rapide en Belgique, mais plus progressif dans la zone euro. Les salaires ont rapidement augmenté en Belgique, grâce au système d’indexation automatique des salaires sur les prix à la consommation qui y est pratiqué. Dans la zone euro, cependant, le processus d’ajustement, qui repose sur des négociations périodiques, est plus long. Ainsi, au début de 2023, les salaires réels (c’est-à-dire après correction de l’inflation) avaient renoué avec leur niveau de la fin de 2020 en Belgique, ce qui n’était toujours pas le cas dans la zone euro à la fin de 2023. Dans certains pays de la zone euro, l’incidence des négociations salariales sur les rémunérations sera encore visible au cours de l’année 2024 et au-delà, d’autant plus que le calendrier des négociations n’est pas toujours clairement défini.

La croissance de la productivité a été limitée. Pour les entreprises, le coût effectif des augmentations salariales peut être atténué par une augmentation de la production par employé (productivité de la main‑d’œuvre). Au cours des cinq dernières années (2019-2023), la croissance de la productivité a été largement insuffisante en Belgique pour compenser intégralement les hausses de coûts salariaux auxquelles les entreprises sont confrontées (en particulier en 2023). Il en a résulté une élévation des « coûts salariaux unitaires » réels. Dans la zone euro, la baisse moyenne des salaires réels a contribué à faire reculer les coûts salariaux unitaires réels. Cela s’est produit en dépit de pertes de productivité, dues notamment à la « rétention de main-d’œuvre » (pratique qui consiste à conserver des employés, même en période de ralentissement de l’activité, en raison des tensions sur le marché du travail).

Le risque d’une spirale salaires-prix a été contenu. L’inflation intérieure a été tempérée dans la mesure où les pressions sur les coûts ont été partiellement compensées par la réduction des marges bénéficiaires des entreprises. Ce phénomène s’est lui aussi produit plus tôt en Belgique (2022) que dans la zone euro (2023). En outre, un certain nombre d’indicateurs prospectifs, tels que le nouveau « wage tracker » de la BCE, qui suit les accords salariaux récents, n’indiquent pas de risque de voir se mettre en place une spirale salaires-prix. Qui plus est, les attentes d’inflation à long terme des agents interrogés restent ancrées à l’objectif d’inflation (2 %), tandis que les anticipations à court terme ont fortement diminué. Ce constat laisse présager que la BCE a apporté une réponse crédible et efficace au choc inflationniste en relevant ses principaux taux d’intérêt.

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Dynamique prix-salaires et politique monétaire

Article publié dans la Revue économique de 2024

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