• FR
  • NL
  • EN

Les mesures fiscales de l’ARIZONA – focus sur la société de management et la taxation des plus-values par le biais de la contribution de solidarité

Le 31 janvier dernier, les négociateurs de l’Arizona sont parvenus in extremis à un accord de gouvernement, présenté devant la chambre ce 4 février 2025.

Une part substantielle de l’accord porte sur la révision d’une série de dispositions fiscales, dont certaines sont identifiées comme étant des mesures budgétaires devant permettre, à côté des mesures relatives à la remise des belges à l’emploi, de redresser progressivement le déficit budgétaire de la Belgique.

L’accord prévoit que l’ensemble des mesures fiscales seraient « mises » (« ingevoerd » dans la version néerlandaise) à partir de 2026 et, en toute hypothèse, ne seraient pas rétroactives. Bien que la formulation utilisée soit ambiguë, on peut s’attendre à ce qu’une situation ne soit pas soumise à une loi qui n’existe pas encore au moment où elle est posée. On pense évidemment et avant tout aux plus-values. Par contre, rien ne permet de penser que des changements de taux ou des refus de déductibilité ne soient pas applicables immédiatement. Il conviendra, pour chaque mesure, de vérifier évidemment l’entrée en vigueur telle qu’elle sera formulée dans les textes.

En attendant, nous examinons ci-après quelques mesures et thématiques « phares » de l’accord.

1. Le futur de la société de management

La première version de la super nota du formateur Bart De Wever faisait expressément état d’une suppression des régimes de VVPRbis et de la réserve de liquidation (dans sa forme actuelle). Cette épée de Damoclès sur les indépendants ayant structuré leur activité au travers d’une société de management a finalement été écartée au profit de deux mesures phares : (i) l’alignement des deux régimes en terme de taux effectif d’impôt et de période d’attente et (ii) un léger durcissement des conditions d’obtention du taux réduit de 20% à l’ISOC sur les cent premiers milles euros de bénéfice.

1.1. Taux réduit à l’ISOC (20% - première tranche de 100.000,00 EUR)

Pour rappel, l’article 215 du CIR92 permet aux petites sociétés au sens de l’article 1 :24 du CSA de bénéficier d’un taux réduit à l’impôt des sociétés (20% en lieu et place du taux ordinaire de 25%) sur la première tranche de 100.000,00 EUR de bénéfices, moyennant un certain nombre de conditions. Ces dernières avaient déjà été modifiées l’année dernière ([1]), à la suite d’une intervention du législateur européen, afin de permettre aux « petites sociétés » de continuer d’être considérées comme étant « petites », tout en tenant compte de l’inflation et de l’évolution, notamment, du chiffre d’affaires.

Pour tout comptes annuels clôturés après le 31 décembre 2023, les règles suivantes sont donc actuellement d’application :

  • Être une petite société au sens de l’article 1 :24, CSA, c’est-à-dire :
    • Chiffre d’affaires net (hors TVA, réductions et autres impôts liés au chiffre d’affaire) : 11.250.000,00 EUR ;
    • Pied de bilan : 6.000.000,00 EUR ;
    • Nombre d’équivalents temps plein en moyenne annuelle : max. 50.
  • Plus de 50% des actionnaires sont des personnes physiques ;
  • Un dirigeant au moins s’octroie une rémunération minimale de 45.000,00 EUR brut (ATN compris et sans indexation prévue) ou égale au bénéfice imposable si ce dernier est inférieur à 45.000,00 EUR (condition non-applicable aux quatre premiers exercices comptables) ;

Le gouvernement de l’Arizona entend toucher à la dernière condition visée ci-avant. Le montant de la rémunération minimale du dirigeant devrait ainsi passer de 45.000,00 EUR à 50.000,00 EUR. Ce montant sera indexé chaque année et ne pourra englober qu’un maximum de 20% d’avantages de toute nature. Ceci suppose donc en pratique qu’un min. de 40.000,00 EUR (à indexer), soit 80% de 50.000,00 EUR, devra être versé en « cash ».

1.2. Alignements des régimes de VVPRbis et de réserve de liquidation

Pour rappel, deux régimes fiscaux coexistent actuellement et permettent aux PME belges de distribuer un dividende à leurs actionnaires moyennant un taux de précompte mobilier réduit (15% au lieu de 30%) : le régime dit de « VVPRbis » pour « voorafgaande voorheffing – précompte réduit » et celui dit de la « réserve de liquidation » :

Régime « VVPRbis »

Réserve de liquidation

Conditions

  • Emission de nouvelles actions nominatives à compter du 1er juillet 2013 ;
  • En contrepartie d’un apport en numéraire exclusivement ;
  • Apport entièrement libéré à la date de distribution du dividende ;
  • Applicable aux seules PME au sens de l’article 1 :24 du CSA au moment de l’apport (peu importe la taille de la société suite à cet apport) ;
  • Détention ininterrompue en pleine propriété (sauf succession en ligne directe ou entre conjoints)
  • Constitution de la réserve de liquidation sur le bénéfice de l’exercice (compte 9905) et impossibilité d’utiliser le bénéfice reporté ;
  • Aux seules PME au sens de l’article 1 :24 du CSA au moment de la constitution de la réserve ;
  • Maintient de la réserve jusqu’à la distribution ;

Taux du
précompte mobilier

  • PrM : 20% sur la « répartition bénéficiaire du deuxième exercice comptable après celui de l’apport » ;
  • PrM : 15% à compter du 3e exercice comptable
  • PrM : 30% si non-respect d’une condition
  • ISOC : 10% à la constitution de la réserve ;
  • PrM complémentaire :
    • 20% si distribution < 5 ans (5% si > 5 ans) à compter du dernier jour de la période imposable concernée ;
    • 0% si boni de liquidation ;
  • PrM : 30% si non-respect d’une condition

Le gouvernement Arizona entend aligner dans une certaine mesure les conditions liées à ces deux régimes, ce qui se traduit par deux modifications au niveau des conditions applicables à la réserve de liquidation.

De cette manière, la période de détention minimale de 5 ans actuellement prévue pour ce régime passera à 3 ans (soit le délai actuellement prévu pour le régime de VVPRbis). Notons qu’il s’agit d’un ‘faux’ alignement puisque le régime VVPRbis ne prévoit ce délai d’attente qu’une seule fois, à la constitution ou à l’émission de nouvelles actions. Par ailleurs, le taux complémentaire de 5% actuellement prévu après 5 ans sera réhaussé à 6,5%. Cette hausse permettra un prélèvement effectif de 15%, à l’instar de ce qui est prévu pour le régime du VVPRbis. En effet, à l’heure actuelle, la réserve de liquidation permet au gouvernement de bénéficier d’un impôt « anticipé » grâce aux 10% devant être payés directement lors de l’affectation du bénéfice à la réserve. Toutefois, lors de la distribution subséquente, les 5% de précompte complémentaire ne portent donc plus que sur 90% du bénéfice affecté (puisque les 10% ont déjà été retranchés), de sorte que le prélèvement effectif actuel ne s’élève qu’à 13,64% et non 15%.

1.3. Autres mesures diverses

Parallèlement aux modifications présentées ci-avant, le gouvernement Arizona s’est mis d’accord sur un plan d’action portant sur de nombreuses autres mesures susceptibles d’impacter les sociétés de management, sans pour autant être concrètement définies à ce stade. On pense notamment à :

  • la suppression de différentes exceptions et exonérations mineures (telle que l’exonération fiscale pour le passif social (art. 67quater, CIR92), le plan PC privé (art. 38, §1er, 17°, CIR92) et l’exonération pour les plus-values sur les véhicules d’entreprises (art. 44 bis, CIR92) ;
  • l’augmentation due à des paiements anticipés insuffisants ne sera plus affectée par la signature d’un accord-cadre dans le cadre d’un régime de tax shelter ;
  • la révision du régime des dépenses non admises par l’introduction d’un système optionnel plus simple ;
  • la révision (simplification) des règles relatives à la limitation de la déductibilité des frais de voiture afin de réduire les charges administratives ;
  • l’introduction d’un « cadre » pour les frais propres à l’employeur (sans autres précisions à ce stade) ;
  • la réintroduction de la possibilité d’effectuer des amortissements dégressifs pour les PME qui effectuent certains types d’investissements (R&D et transition énergétique notamment) ;
  • l’harmonisation des différents régimes de pension du deuxième pilier (PLCI, EIP, CPTI) et la suppression de la règle dite des « 80% » ;
  • etc.


2. Contribution de solidarité (taxe générale sur les plus-values)

Parmi les nouvelles mesures budgétaires, le nouveau gouvernement entend instaurer « une cotisation générale de solidarité de 10% […] sur les plus-values futures réalisées sur les actifs financiers, y compris les crypto-actifs, constituées à partir du moment où cette cotisation sera instaurée. Les plus-values historiques sont donc exonérées.

Une déductibilité des moins-values (de cette catégorie de revenus) dans l’année, sans report est introduite […] ».

Depuis la publication de l’accord de gouvernement début février 2025, cette mesure est certainement celle qui fait couler le plus d’encre, tant les partenaires de la majorité ne sont finalement pas tout-à-fait d’accord sur ses modalités, outre les incohérences visibles entre la version néerlandophone et francophone du texte.

A ce stade, l’accord ne précise pas ce qu’il y a lieu d’entendre par « actifs financiers », terme vague qui n’a pas de définition en droit belge. On pourrait toutefois penser aux « instruments financiers » au sens de l’article 2,1° de la loi du 2 août 2002 lequel vise de façon très large les actions de sociétés, cotées ou non, les obligations privées ou publiques, belges ou internationales, les certificats immobiliers, les bons de caisse, les billets à de trésorerie, les certificats de dépôts, les reverse convertible, les structured notes, les warrants, les certificats représentatifs d’actions, les actions de SICAV, SICAF, les parts de FCP, les trakers ou ETF, les options, futures, speeders, sprinters, turbos, etc. En toute hypothèse, l’accord prévoit expressément que les crypto-actifs seront bien visés. Ceci exclurait alors l’or physique.

Outre les premiers 10.000,00 EUR (à indexer annuellement) de plus-value qui seront « toujours » exonérés, le premier million d’euro de plus-value sera également exonéré si la participation est détenue à hauteur de minimum 20% (on pense évidemment ici en priorité aux actions).

L’accord semble permettre aussi une gradation, mais les modalités de celles-ci devront encore être redéfinies, tant le flou persiste à la lecture des versions néerlandophone et francophone :

EUR

NL

FR

0 – 1M

-

-

1M – 2,5M

1,25%

2,25%

2,5M – 5M

2,25%

?

5M – 10M

5%

5%

>10M

10%

10%

On retiendra encore à ce stade que l’accord prévoit :

  • (i) La déductibilité des moins-values pour autant qu’elles portent (i) sur la même catégorie de revenus et (ii) qu’elles soient imputées lors de l’année de leur réalisation, sans possibilité de report ;
  • (ii) L’application de la mesure aux seules plus-values futures, sans prendre en compte la plus-value historique. Ceci posera évidemment des questions techniques qu’il conviendra de régler dans le projet de loi, ne serait-ce qu’en terme de valorisation des actifs non cotés ;

De nombreuses questions restent ouvertes : la méthodologie qui sera suivie pour exonérer les plus-values historiques ; le maintien ou non de la taxation des plus-values en dehors de la gestion normale du patrimoine privé à 33% ; le sort réserver aux contrats d’assurance-vie ; etc.

* *

Le degré de précision des mesures annoncées, bien qu’inédit au stade d’un accord de gouvernement, nécessite encore d’être affiné dans les projets de loi qui seront déposés. Nous resterons bien entendu attentifs aux textes qui verront le jour dans les semaines et mois à venir, afin de vous tenir informés des modifications concrètes qui seront adoptées, et ainsi vous conseiller au mieux.

[1] Loi du 28 mars 2024 portant dispositions en matière de digitalisation de la justice et dispositions diverses Ibis,

M.B., 29 mars 2024, p. 38622, et la loi du 2 décembre 2024 relative à la publication, par certaines sociétés et groupes, d’informations en matière de durabilité et à l’assurance de l’information en matière de durabilité et portant des dispositions diverses, 20 décembre 2024, M.B., p. 136124.


​​​La Tetracademy est la revue trimestrielle juridique du cabinet d’affaires bruxellois Tetra Law. Cet article en est extrait. Pour plus d’informations ou pour recevoir chaque nouvelle publication, n’hésitez pas à suivre la Tetracademy en envoyant un email à tetracom@tetralaw.com ».

Mots clés