• FR
  • NL
  • EN

Georges-Louis Bouchez: « Pas de nouvel impôt », décryptage d’une ligne rouge politique

Introduction : Le cap est fixé, la méthode interroge

Dans le cadre effervescent du Congrès des Experts-comptables et du salon AVEC, la plateforme oFFFcourse a poursuivi sa mission de décryptage des grands enjeux économiques et fiscaux en recevant une figure politique centrale : Georges-Louis Bouchez, président du MR. Connu pour son mantra « réformer plutôt que taxer », il a été confronté aux réalités budgétaires d'un pays dont le déficit flirte avec les 4,5% du PIB et la dette publique dépasse les 100%. L'enjeu était clair : comment concilier ce refus de toute nouvelle taxation avec la nécessité de trouver des équilibres budgétaires et de financer les réformes structurelles ? Un débat dense qui a permis de clarifier la stratégie libérale face aux défis actuels et de sonder les lignes de force qui animent la majorité.


1. Le refus de l’impôt comme dogme économique

Le message martelé par Georges-Louis Bouchez est sans ambiguïté : la Belgique, déjà « championne du monde de la fiscalité », ne peut plus se permettre d'ajouter la moindre pression fiscale. Pour lui, toute nouvelle taxe est contre-productive. « La taxation aujourd'hui est destructrice de valeur », a-t-il insisté. Il développe son raisonnement sur deux axes. Premièrement, il n'existerait plus de « source économique à taxer » sans pénaliser la croissance. Deuxièmement, combler un déficit par l'impôt serait une solution de court terme masquant un problème structurel : des dépenses publiques dont la croissance est supérieure à celle de l'économie. Le résultat est mathématique : « Si vous comblez le trou actuel par des impôts, vous allez devoir refaire des impôts dans le futur. » La seule voie viable, selon lui, est la réduction de la dépense publique, car « la taille de l’État est devenue un ennemi de la classe moyenne ».

Face à l'hypothèse d'un tax shift, il se montre sceptique, craignant un jeu de dupes. Invité à classer les taxes taboues, sa réponse est directe : un impôt sur la fortune, une hausse de la TVA, une extension de la taxe sur les plus-values ou une taxation accrue de l'immobilier sont toutes inenvisageables. Il place cependant la fiscalité immobilière au sommet de ses lignes rouges : « Ça, c'est la ligne rouge Bordeaux Flash ». Pour lui, l'immobilier est le dernier refuge d'épargne pour les classes moyennes et y toucher serait « profondément anti-économique ».


2. L’accord budgétaire : un équilibre précaire mais assumé

Interrogé sur le récent accord budgétaire, le président du MR défend un équilibre qu'il juge inédit, soulignant que sur les 32 milliards d'euros d'efforts, « 80% de l'effort, ce sont des réductions de dépenses et des réformes ». Un ratio jamais vu qui témoigne selon lui d'une victoire idéologique. S'il concède que ce n'est pas l'accord qu'il aurait conclu seul – « moi j'aurais fait 100% en réduction de recettes » – il estime que le cap est maintenu et prévient : « Il ne faut pas me refaire le même sketch dans six mois ou dans un an ».

L'un des arbitrages les plus commentés fut la réforme du VVPR-bis, avec le passage du taux de 15 % à 18 %. L'intervenant a révélé les coulisses de la négociation, expliquant pourquoi une augmentation linéaire a été préférée à un plafond. L'objectif était d'éviter de « piéger les entrepreneurs en fin de carrière » et de prévenir la complexité réglementaire. « Quand vous créez des plafonds à 100 000, ils peuvent descendre à 50 [...] et vous donnez une opportunité au fisc d’avoir de l’interprétation en tout sens », a-t-il expliqué. Un arbitrage visant à contenir l'appétit fiscal de ses partenaires sur un seul point, même s'il admet que c'est un « mauvais signal » pour la classe moyenne.


3. Relance industrielle et simplification : un triptyque de chocs nécessaires

Au-delà des arbitrages belges, Georges-Louis Bouchez dénonce une forme d'« inculture économique » face aux mutations mondiales, opposant le modèle européen, qu'il qualifie d'« enfer administrativo-fiscal », aux dynamiques de croissance observées ailleurs. Pour sortir de cette trajectoire, il défend une vision résolument libérale articulée autour d'un triple choc : un choc de simplification administrative pour accélérer les permis, un choc fiscal pour attirer les investissements, et un choc de courage politique pour défendre l'industrie. « Sans industrie, il n'y a pas d'économie, il n'y a pas de bien-être », a-t-il martelé.

Cette volonté de simplification se heurte cependant à un mur, comme l'a souligné la FFF. La complexité administrative croissante, illustrée par la fiscalité automobile, persiste malgré un consensus de façade. L'explication est politique : « Il y a des gens qui vous disent qu'ils sont pour la simplification, mais à la table du gouvernement ça se voit pas ». Le politique est « pris entre deux principes : d'un côté il voudrait simplifier, mais de l'autre il ne veut pas déplaire à Greenpeace, aux syndicats, à l'administration fiscale ». La simplification n'est donc pas un problème technique, mais bien une question de courage politique.


4. Le blocage bruxellois, symptôme d'une crise profonde

L'un des points saillants de l'échange fut l'analyse de la crise politique à Bruxelles, symptôme d'un désaccord fondamental sur la trajectoire budgétaire. « On doit faire au moins un milliard d'euros d'économies budgétaires », a-t-il rappelé, pointant le refus de certains partenaires de toucher aux postes de dépenses majeurs. Cette situation illustre un risque de « blocage complet » qui menace la stabilité de la capitale. « Quand vous avez Belfius qui coupe les robinets, enfin si ça vous interroge pas, je sais pas ce qu'il faut », a-t-il lancé, dénonçant une forme de déni face à l'urgence.


Décryptage pour la profession

Les positions de Georges-Louis Bouchez envoient des signaux clairs aux experts-comptables et à leurs clients :

  • Stabilité fiscale relative : Le refus catégorique de tout nouvel impôt majeur (ISOC, IPP, TVA, immobilier) offre une prévisibilité à court terme, mais la pression budgétaire demeure. Les professionnels doivent rester vigilants face à d'éventuels ajustements "techniques" ou à des modifications de niches fiscales.

  • Le débat sur les aides aux entreprises : En se déclarant prêt à échanger « 25 milliards d'aides aux entreprises » contre une baisse massive de la fiscalité, il ouvre une porte stratégique qui pourrait redéfinir le paysage des subsides et incitants fiscaux.

  • Attention aux détails : La hausse du taux VVPR-bis ou les ajustements sur la TVA montrent que le diable se cache dans les détails. Même avec un principe de "no tax", des ajustements sectoriels restent possibles et nécessitent une analyse d'impact précise.

  • Instabilité institutionnelle : Le blocage bruxellois est un signal d'alarme. L'incertitude politique peut se traduire par une instabilité fiscale et réglementaire, rendant le conseil aux entreprises encore plus complexe.

  • Le combat pour la simplification : La profession est encouragée à poursuivre son travail de lobbying. Le manque de volonté politique ne doit pas décourager l'expertise technique pour démontrer que la simplification est possible et bénéfique.


Conclusion : Une ligne claire dans un contexte incertain

L'intervention de Georges-Louis Bouchez a eu le mérite de la clarté. En posant un verrou politique sur toute nouvelle taxation, il ancre le débat sur le terrain des réformes de la dépense publique, tout en révélant la tension permanente entre l'idéal politique et la réalité des compromis. La densité des échanges a permis de mesurer la tension entre cette vision libérale et les contraintes d'une coalition hétérogène. Cet épisode d'oFFFcourse démontre, une fois de plus, l'importance de suivre ces débats pour anticiper les évolutions fiscales et conseiller au mieux les acteurs économiques. La suite de la saison promet d'être tout aussi essentielle pour naviguer dans un environnement en pleine transformation.

Mots clés