Ce 28 mai, le projet de loi-Programme a été déposé à la Chambre. Un volumineux dossier de plus de 500 pages concrétisant toute une série de mesures annoncées par le gouvernement. Impossible de les résumer en quelques lignes. Parmi toutes les mesures proposées, je vous propose par contre de nous arrêter aujourd’hui sur l’une d’entre elles qui concerne la suppression de l’accroissement d’impôts en cas de « bonne foi ».
Dans un précédent article, intitulé « Retard de dépôt de déclaration fiscale ou erreurs de bonne foi dans celle-ci & Accroissement automatique d’impôts. Le ministre s’explique après l’arrêt de la Cour Constitutionnelle du 21 novembre 2024… » , je vous résumais la problématique à laquelle nombre de contribuables et praticiens étaient confrontés suite à une dérive de l’administration fiscale critiquable débouchant sur un contentieux judiciaire volumineux et de multiples interpellations du Ministre des Finances.
Ces critiques étaient devenues à ce point nombreuses et virulentes que, comble de l’ironie, des députés, tous issus du même parti que celui du Ministre des Finances de l’époque, M. Van Peteghem, à savoir le CD&V¹, avaient déposé quelques mois plus tard, le 30 janvier 2025, un projet de loi² visant à corriger le tir, reconnaissant ainsi, de facto, la gestion chaotique et pour le moins calamiteuse de ce dossier.
Cette proposition de loi, restée « lettre morte », refait aujourd’hui surface dans le cadre du projet de loi-programme déposé par le gouvernement à la Chambre.
La nouveauté tient en une seule phrase simple : lorsque vous commettez une première infraction fiscale, la loi présume désormais que vous êtes de bonne foi pour autant que vous ne soyez pas dans une des situations visées par l’article 351 du CIR 92.
Si le nouveau texte proposé devait être voté en l’état, l’actuel alinéa 3 de l’article 444 du CIR 92 serait remplacé comme suit :
« Il est renoncé à l’accroissement d’impôt pour la première infraction commise de bonne foi.
La bonne foi est, jusqu’à preuve du contraire, présumée exister dans le chef du contribuable
qui a commis une première infraction, sauf en cas d’application de l’article 351. »
Ce texte devrait entrer en vigueur le 1ᵉʳ juillet 2025.
Qu’on se comprenne bien : la nouvelle approche inverse complètement la logique précédente.
Deux moyens seront ouverts à l’administration fiscale :
C’est une évidence, une lapalissade… Par contre, en énonçant ce principe, on constate que le projet de loi ne définit pas ce qu’il y a lieu d’entendre par « bonne foi ». À suivre les rédacteurs du projet de loi, on « sent », on « voit ce que cela veut dire », mais ils ne définissent pas ces termes : ils ne savent pas ou ne veulent pas les définir, puisqu’ils écrivent, dans les travaux préparatoires de la loi, que : « La bonne foi peut être interprétée comme suivant le sens de l’article 1.9 du Code civil » (!) ⁴ ! Et d’ajouter que si cela n’est pas suffisamment clair, il faut comprendre ce concept à la lecture de leurs exemples… simplistes, bien sûr !
Les exemples cités par les rédacteurs de la loi sont les suivants :
L’administration fiscale pourrait refuser l’application de la bonne foi chaque fois qu’un contribuable se trouve dans une situation visée par l’article 351 du CIR 92. Pour rappel, cette disposition prévoit que l’administration fiscale peut procéder à une taxation d’office :
« … dans les cas où le contribuable s’est abstenu :
Avant de procéder à la taxation d’office, l’administration notifie au contribuable, par lettre recommandée à la poste, les motifs du recours à cette procédure, le montant des revenus et les autres éléments sur lesquels la taxation sera basée, ainsi que le mode de détermination de ces revenus et éléments. … »
Arrivé à ce stade de la lecture du volet de ce projet de loi, on ne peut qu’être dubitatif tant sur la voie empruntée que sur les explications d’interprétation du texte, pour régler un problème qui, a priori, pourrait être géré par une simple application des règles de droit commun !
Tout d’abord, comme le soulignent les rédacteurs du projet de loi, la bonne foi est déjà définie par le Code civil fraîchement revu et inséré dans notre droit. L’article 1.9 du nouveau Code civil – qui n’est rien d’autre qu’une reformulation de ce qui existait déjà sous l’égide de l’ancien Code civil – précise :
« La bonne foi est présumée.
Une personne est de mauvaise foi, lorsqu’elle connaît les faits ou l’acte juridique auxquels doit se rapporter sa bonne foi ou lorsqu’elle aurait dû les connaître, eu égard aux circonstances concrètes. »
Or, en rédigeant le nouveau texte, les rédacteurs du projet de loi précisent que la bonne foi « peut être interprétée comme suivant le sens de l’article 1.9 du Code civil »⁵ ! En apportant cette précision, c’est comme si ces rédacteurs considéraient que le droit fiscal est une branche totalement autonome de notre système juridique ; une branche du droit qui a des concepts sans doute communs avec le droit civil mais qui a ses propres interprétations !
Or, ce n’est pas du tout le cas. Sauf à apporter la démonstration du contraire, le droit fiscal n’est qu’un « droit second ». Entendons-nous bien, cette expression ne signifie pas que ce droit est moins important que le droit civil, mais bien plutôt qu’à défaut de dispositions expresses contraires énoncées dans la loi, le droit fiscal s’appuie (entre autres) sur le droit civil pour définir ses concepts et appliquer ses propres règles !
Prenons quelques exemples pour illustrer plus clairement le propos : lorsqu’une loi fiscale utilise des termes comme « propriété », « usufruit », « société » ou « contrat » (tout comme le terme « bonne foi »), elle n’invente pas ces notions. Elle les emprunte au droit civil, au droit des sociétés, voire à d’autres domaines du droit qui les ont déjà définis et encadrés. Prenons un autre exemple : si le CIR taxe les « revenus immobiliers », il faut se référer au droit civil pour comprendre ce qu’est un immeuble, qui en est propriétaire, quels sont les droits de l’usufruitier, etc. Le droit fiscal ne redéfinit pas ces concepts fondamentaux ; il les utilise !
Le procureur général Gesché a, en son temps, parfaitement exprimé cette réalité en quelques mots et de manière très claire en disant que la loi fiscale est « serve de » (c’est-à-dire subordonnée à) la loi civile [4]. Cette subordination signifiait que le droit fiscal trouve ses fondations dans les définitions et concepts du droit civil, sauf quand il exprime explicitement sa volonté de s’en écarter.
Aussi, quand les rédacteurs du projet de loi écrivent que la bonne foi « … peut être interprétée comme suivant le sens de l’article 1.9 du Code civil », on peut dire qu’ils ont tout faux et que si la notion de bonne foi telle qu’ils la conçoivent reste (ou devait rester) sujette à interprétation [5], cette situation engendrerait de nouvelles incertitudes et divergences d’interprétation juridiques entre contribuables et administration. Aussi, à moins que les rédacteurs ne donnent leur définition précise de ce qu’il faut entendre, selon eux, par bonne foi pour l’application des dispositions du Code fiscal – ce qui ne nous semble pas souhaitable –, cette interprétation ne peut être que celle qui est donnée par le Code civil.
Ce qui est avancé ci-avant n’est rien d’autre que ce que la Cour de cassation belge a déjà, par ailleurs, formalisé dans divers arrêts, notamment les 9 juillet 1931[6], 21 septembre 1978[7], 20 janvier 2000[8] et 14 février 2008[9]. Cette continuité jurisprudentielle montre l’importance du principe dans cette architecture juridique. En fait, cette approche est la seule cohérente qui présente une logique certaine puisqu’elle entend prévenir une certaine forme d’anarchie où chaque branche du droit pourrait développer ses propres définitions contradictoires de mêmes concepts, ce qui ne ferait que créer confusion, désordre et insécurité juridique.
Une seconde réflexion qui peut sans doute être formulée consiste à se demander s’il n’eût pas été plus simple de revoir la rédaction de l’article 444, alinéa 3 en précisant que : « Hormis les situations visées par l’article 351 du CIR 92 [10], en l’absence de mauvaise foi, il est renoncé à tout accroissement. »
En effet, ce n’est pas parce qu’un contribuable interprète mal – de bonne foi – une disposition une année et commet une première infraction que, lors de la seconde mauvaise application ou interprétation de la loi fiscale, ce même contribuable sera de mauvaise foi ! La réglementation fiscale est, en effet, devenue à ce point complexe, technique et peu lisible que quasi tous certains experts fiscaux et agents de l’administration reconnaissent qu’il est devenu difficile de comprendre le « fatras » de dispositions fiscales [11].
Dire que la bonne foi du contribuable n’est plus de mise (n’est plus présumée) dès lors qu’on serait en présence d’une seconde infraction, comme le laissent sous-entendre les rédacteurs du projet de loi, ne résout absolument pas le problème initial dénoncé, mais ne fait que le repousser ! En fait, à suivre les rédacteurs du projet de loi, cela revient à dire qu’on économise la « case amende ; 10 % d’accroissement » en cas de première erreur, mais qu’on passe directement à la « case amende ; 20 % d’accroissement » à la seconde erreur. La formule telle qu’elle est proposée aujourd’hui n’est donc qu’un emplâtre sur une jambe de bois…
Si, par contre, on fait pleinement jouer l’article 1.9 du Code civil, il nous semble que le texte gagne en simplification et en lisibilité en venant utilement en aide à l’administration fiscale puisqu’il établit qu’une personne est de mauvaise foi : « lorsqu’elle connaît les faits ou l’acte juridique auxquels doit se rapporter sa bonne foi ou lorsqu’elle aurait dû les connaître, eu égard aux circonstances concrètes ».
Un contribuable qui omet à plusieurs reprises de rentrer sa déclaration fiscale dans les délais, qui commet à deux reprises la même infraction fiscale, qui fait preuve d’un manque de diligence ou de vigilance de manière évidente, qui a une attitude désinvolte face à ses obligations fiscales ou qui méconnaît les dispositions fiscales communément admises peut difficilement être considéré, de prime abord, comme étant de bonne foi.
Il convient donc de se demander si une simplification de la rédaction du texte, combinée aux dispositions du droit commun – en l’occurrence l’article 1.9 du nouveau Code civil – ne suffit pas à réunir à la fois le point de vue de l’administration, qui consiste à éviter les situations d’abus et de mauvaise foi, et celui des contribuables, qui doivent bénéficier d’une certaine sécurité juridique.
Enfin, à la lecture du projet de loi, on peut se demander si on ne se dirige pas vers la création d’un « casier fiscal » pour tous contribuables, à l’instar du « casier judiciaire ». On connaît la propension de certains élus politiques à faire progresser des initiatives légistiques dans des directions inattendues [12]. À bien lire le projet de loi, la réforme proposée entend, en effet, maintenir une certaine pression sur les contribuables dès lors qu’on comprend que la première infraction, même si elle n’est pas sanctionnée grâce à la présomption de bonne foi, devrait néanmoins rester inscrite dans l’historique fiscal du contribuable pendant quatre exercices d’imposition. Alors certes, le système existe déjà de manière embryonnaire, mais on peut se demander si, à terme, il ne débouchera pas sur une utilisation détournée du système avec la création d’un « casier judiciaire fiscal » pour toutes les infractions, même les plus bénignes…
Tout d’abord, ne boudons pas notre plaisir : cette réforme présente une avancée pour la protection des contribuables et un certain retour vers l’équilibre entre contribuables et administration fiscale.
Pour les contribuables, la proposition offre une véritable sécurité juridique pour la première erreur, à condition qu’un comportement diligent et responsable soit adopté dans l’accomplissement des obligations fiscales. La clé de la protection résidera dans la démonstration d’une volonté sincère de respecter la loi fiscale. La législation fiscale étant toutefois ce qu’elle est : complexifiée à souhait, il reste néanmoins évident que la démarche proposée ne constitue qu’une étape et qu’elle devrait être étendue à toutes erreurs commises de bonne foi. Les règles ou balises reprises dans l’article 1.9 du Code civil devraient en principe suffire à protéger le fisc contre toute dérive de contribuable par trop négligent, aventureux ou de mauvaise foi.
Pour les professionnels du chiffre, la réforme modifie l’équilibre des relations entre contribuables et administration. Elle nécessitera certes une adaptation des pratiques administratives et une formation des agents chargés du contrôle fiscal, mais la charge de la preuve qui incombera désormais à l’administration impliquera, par contre, également des contribuables et de leurs conseils une argumentation sans doute plus rigoureuse ainsi qu’une documentation administrative toujours plus complète des dossiers en vue d’éviter les sanctions.
Notes