Le gouvernement fédéral s’apprête à modifier en profondeur le dispositif anti-abus lié à la taxe annuelle sur les comptes-titres (TACT). Cette réforme, incluse dans le projet de loi-programme déposé à la chambre ce 27 mai 2025, répond à une double nécessité : rétablir une sécurité juridique après l’annulation des deux anciennes présomptions d’abus irréfragables par la Cour constitutionnelle, et mieux armer l’administration fiscale dans sa lutte contre l’évitement de la TACT.
Cet article est écrit et diffusé dans le cadre du Tax TV Show du mois de juin, disponible en live et en replay sur oFFFcourse.
La TACT, reprise aux articles 201/3 et suivants du CDTD, et issue d’une loi du 17 février 2021, frappe à hauteur de 0,15 % les comptes-titres belges et étrangers dont la valeur moyenne des instruments financiers dépasse 1 million d’euros durant la période de référence (1er octobre – 30 septembre). Les titres nominatifs, eux, échappent à cette taxe, ce qui a, entre autres choses, ouvert la porte à certaines pratiques d’évitement.
Cette taxe faisait elle-même suite à une première mouture de « taxe sur les comptes-titres », issue d’une loi du 7 février 2018, qui avait quant à elle entièrement été annulée par la Cour constitutionnelle dans son arrêt n° 138/2019 du 17 octobre 2019.
À l’origine de la TACT, deux présomptions d’abus spécifiques et irréfragables visaient :
La loi prévoyait en effet que l’évitement de la taxe résultant de la scission du compte ou la conversation des titres dématérialisés en nominatifs (à savoir des instruments expressément exclus de la base imposable de la taxe) ne pouvait être qu’abusif, sans possibilité pour le contribuable de démontrer que l’opération avait été réalisée pour des motifs autres que fiscaux.
Par arrêt du 27 octobre 2022 (n° 138/2022), la Cour constitutionnelle a annulé ces dispositions, estimant que leur caractère irréfragable ne répond pas aux exigences du principe constitutionnel de légalité en matière fiscale. Depuis, seule la disposition générale anti-abus subsistait (art. 202 CDTD), plus difficile à mettre en œuvre car elle exige de l’administration qu’elle prouve l’intention fiscale abusive.
Dans un rapport établi en septembre 2024, la Cour des comptes a été amenée à analyser l’efficacité de la taxe alors en vigueur, telle qu’elle était appliquée à la suite de l’annulation des dispositions anti-abus spécifiques par la Cour constitutionnelle. La Cour des comptes concluait à une baisse drastique des recettes liées à la taxe, et sans le démontrer, établissait un lien entre cette baisse et l’annulation des disposition anti-abus spécifiques.
Le projet de loi-programme réintroduit deux présomptions d’abus, désormais réfragables et assorties de conditions strictes :
Est visée la conversion d’instruments financiers d’un compte-titres vers des titres non inscrits sur un tel compte (typiquement : passage au nominatif), sans modification des autres caractéristiques des titres. Cela ne s’applique que si la valeur du compte avant conversion dépasse 1 million d’euros.
Est concerné le transfert partiel (pas total) d’instruments financiers vers un ou plusieurs comptes-titres, à condition que le titulaire reste le même ou soit cotitulaire du compte de destination. Ici aussi, la présomption ne joue que si le compte d’origine dépasse le seuil de 1 million d’euros.
La présomption est à présent réfragable : le contribuable peut prouver que l’opération a un motif économique principal non fiscal.
Le champ est limité aux cas de conversion/transfert partiels au-delà du seuil, excluant les opérations « neutres » (ex. : transfert total en cas de changement de banque).
Pour détecter ces montages, le projet introduit une obligation de déclaration :
Elle concerne uniquement les opérations visées par les deux nouvelles présomptions.
La notification doit être effectuée :
Le délai : le dernier jour du mois qui suit la période de référence, lorsque le déclarant est un intermédiaire belge ou un représentant responsable (ex. : 31 octobre 2025 pour l’exercice commençant le 1er octobre 2024). Aucun délai n’est toutefois donné lorsque le titulaire lui-même est chargé de déclaration l’opération.
En cas de manquement, une amende de 250 à 2.500 € est prévue, sauf bonne foi.
Contrairement à l’ancien régime, le titulaire peut désormais renverser la présomption d’abus en justifiant d’un motif autre que celui d’éviter la taxe
L’exposé des motifs proposent deux exemples a priori valables et deux exemples a priori non valables :
Suivant le texte actuel, le nouveau régime devrait entrer en vigueur le 1er juillet 2025 et s’appliquer aux opérations réalisées à partir de cette date. La première obligation de notification pour les intermédiaires (ou représentant légal) doit être respectée pour le 31 octobre 2025 au plus tard.
Les experts-comptables et conseillers fiscaux doivent informer leurs clients fortunés que les opérations de transfert partiel ou de conversion nominative au-delà du seuil de 1 million d’euros seront désormais sous surveillance renforcée.
La charge de la preuve pèse sur le contribuable : anticiper une documentation des motifs économiques des opérations est indispensable.
Le respect de l’obligation de notification est crucial, notamment pour les comptes à l’étranger, sous peine de sanctions.