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Holding passif: comment l'acquisition d'une société peut devenir un abus fiscal?

Le Tribunal de Bruges a rendu en date du 21 octobre dernier un jugement plus qu’intéressant qui remet en cause un type d’opération qu’on pourrait qualifier de standard dans le cadre de la reprise d’une société ayant une activité commerciale, à savoir : la constitution d’une société dédiée ou holding qui lève un financement bancaire pour ensuite acquérir toutes les actions de la société cible ; les remboursements de la charge d’intérêts et de l’emprunt étant assurés par des remontées de dividendes de la société cible. Une copie de cet arrêt est repris en fin de note jointe en annexe.


1. RAPPEL DE QUELQUES DISPOSITIONS APPLICABLES.

a) Au niveau européen, la directive 2015/121 du 27 janvier 2015 contient les dispositions suivantes qui précisent que … « Les États membres n’accordent pas les avantages de la … [directive mère-fille] à un montage ou à une série de montages qui, ayant été mis en place pour obtenir, à titre d’objectif principal ou au titre d’un des objectifs principaux, un avantage fiscal allant à l’encontre de l’objet ou de la finalité de la présente directive, n’est pas authentique compte tenu de l’ensemble des faits et circonstances pertinents. Un montage peut comprendre plusieurs étapes ou parties. 3. Aux fins du paragraphe 2, un montage ou une série de montages est considéré comme non authentique dans la mesure où ce montage ou cette série de montages n’est pas mis en place pour des motifs commerciaux valables qui reflètent la réalité économique. 4. La présente directive ne fait pas obstacle à l’application de dispositions nationales ou conventionnelles nécessaires pour prévenir la fraude fiscale ou les abus. »

b) Au niveau du Code d’impôt sur les revenus (CIR 92), on retrouve deux dispositions qui font écho aux principes énoncés par la directive 2015/121.

  1. L’article 203 §1 7° du CIR 92 en matière de revenu définitivement taxé refuse la déduction au titre des RDT pour les revenus alloués ou attribués par … « une société qui distribue des revenus qui sont liés à un acte juridique ou à un ensemble d’actes juridiques dont l’administration, compte tenu de l’ensemble des faits et circonstances pertinents, a démontré, sauf preuve contraire, que cet acte ou cet ensemble d’actes n’est pas authentique et est mis en place pour obtenir, à titre d’objectif principal ou au titre d’un des objectifs principaux, la déduction des revenus visés à l’article 202, §1er, 1° et 2°, la renonciation visée à l’article 266, alinéa 1er, de ces revenus ou un des avantages de la directive 2011/96/EU dans un autre État membre de l’Union européenne. »
  2. L’article 226 al. 4 du CIR 92 en matière de retenue du précompte mobilier précise que « La renonciation à la perception du précompte mobilier […] ne peut pas produire ses effets en ce qui concerne les dividendes qui sont liés à un acte juridique ou à un ensemble d’actes juridiques dont l’administration, compte tenu de l’ensemble des faits et circonstances pertinents, a démontré, sauf preuve contraire, que cet acte ou cet ensemble d’actes n’est pas authentique et est mis en place pour obtenir, à titre d’objectif principal ou au titre d’un des objectifs principaux, la déduction des revenus visés à l’article 202, §1er, 1° et 2°, la renonciation visée à l’alinéa 1er de ces revenus ou un des avantages de la directive 2011/96/EU dans un autre État membre de l’Union européenne. Un acte juridique ou un ensemble d’actes juridiques est considéré comme non authentique dans la mesure où cet acte ou cet ensemble d’actes n’est pas mis en place pour des motifs commerciaux valables qui reflètent la réalité économique. »


2. LE JUGEMENT DU TRIBUNAL DE BRUGES – LES FAITS.

La société X constituée en 2010 exerce une activité commerciale dans le secteur des fleurs, plantes et matériaux de décoration. L’un des fondateurs souhaitant arrêter ses activités, un repreneur est recherché. 1Le 1er janvier 2017, 99 % des actions de la société X sont acquises par la société D ; le solde des actions, soit 1 %, étant acquis par Monsieur B, actionnaire unique de la société D. Pour assurer la reprise de cette participation on comprend que Monsieur B utilise la société D, qui n’a pas d’activité autre que celle de la future acquisition et détention de participation. Le financement de l’acquisition de la participation est effectué au travers de la société D par le biais d’un emprunt bancaire, dont le montant en principal et les intérêts seront remboursés par des remontées de dividendes de la société X ; ces remontées de dividendes de la société X débutent dès l’exercice d’imposition 2018 (revenus 2017).

Ces dividendes s’élèvent à

  • a) 19 850,00 EUR en 2018,
  • b) 56 825,38 EUR en 2019 et
  • c) 52 557,09 EUR en 2020.

Compte tenu du lien de détention de participation de la société D dans la société X, on comprend également du jugement rendu que la société X n’effectue aucune retenue de précompte mobilier sur ces dividendes, invoquant l’exonération prévue par la directive européenne « mère-filiale ».


3. RÉACTION DE L’ADMINISTRATION FISCALE.

Suite à un examen des déclarations fiscales pour les exercices 2019 et 2020, l’administration fiscale envoie dans un premier temps une demande de renseignements concernant les dividendes distribués. Après analyse, l’administration estime que la société X a omis à tort de retenir le précompte mobilier sur les dividendes versés à la société D. Elle notifie son intention d’établir des cotisations en matière de précompte mobilier pour les exercices 2018, 2019 et 2020 en invoquant l’article 266 al. 4 du CIR 1992, qui permet de refuser l’exonération de précompte mobilier lorsqu’une structure est mise en place essentiellement (

  • i) pour obtenir un avantage fiscal et
  • (ii) que cette même structure est artificielle!


4. QUE DIT LE TRIBUNAL DE BRUGES ?

Outre le fait que le Tribunal de Bruges se prononce sur certaines questions connexes à la principale question, dont la recevabilité de la demande, une question de prescription, voire une question de dégrèvement de cotisation, le tribunal valide la position de l’administration fiscale qui voit, au travers de la structuration de l’opération d’acquisition mise en place, un abus fiscal ! Le tribunal confirme que, dans le cas qui lui est soumis, l’administration fiscale a fait une correcte application de la disposition anti-abus visée par l’article 266 al. 4 du CIR 92.


5. L’ARGUMENTAIRE DÉVELOPPÉ PAR LE TRIBUNAL POUR ARRIVER À SA CONCLUSION ?

Tout d’abord, le tribunal rappelle les principes, à savoir que, suite à la « directive mère-filiale », une exonération de précompte mobilier est bien prévue pour les dividendes qui sont distribués par une société filiale à sa société mère.

Ensuite, il rappelle le contenu de l’article 266 al. 4 CIR 1992 tel qu’énoncé ci-avant (point 1). Le tribunal rappelle également que, pour que l’administration fiscale puisse refuser l’exonération de précompte mobilier, cette dernière doit démontrer l’existence de quatre conditions cumulatives, à savoir :

  1. l’existence d’un acte juridique ou d’un ensemble d’actes juridiques ;
  2. une condition subjective ;
  3. une condition objective ;
  4. une construction artificielle.

Enfin, la société X contestant que ces conditions soient rencontrées, le tribunal fait alors les constats suivants :

  • I. La société D (holding / société mère) n’a exercé aucune activité pendant plusieurs années jusqu’en 2016.
  • II. Le 1er janvier 2027, 99 % des actions de la société X sont acquises par la holding D ; le solde des actions, soit 1 %, est acquis par Monsieur B, actionnaire unique de la holding D.
  • III. Le financement de l’acquisition des actions est entièrement effectué par voie d’un emprunt bancaire.
  • IV. La holding D n’a aucune activité réelle, à l’exception de la seule détention de la participation dans la société X. À l’exception de la participation acquise, elle ne détient aucun autre actif, n’a aucun employé et aucun frais de fonctionnement.
  • V. Les seuls mouvements constatables au sein de la holding D sont la réception de dividendes de la part de la société X et le remboursement du/des crédits souscrits pour l’acquisition de la participation dans la société X. Ce n’est que par la réception de ces dividendes que le prêt peut être remboursé.
  • VI. En optant pour l’achat des actions de la demanderesse via la holding D, et non en nom personnel, Monsieur B a délibérément opté pour un acte juridique par lequel les avantages fiscaux que la « directive mère-filiale » pouvaient être obtenus.
  • VII. Enfin, le tribunal relève, et c’est là sans doute l’argument ultime, que bien que le contribuable ait eu la possibilité de fournir la preuve de motifs commerciaux valables à la base de la structuration des opérations, ou que l’objectif principal était autre que l’obtention d’un avantage fiscal, aucun argument n’aurait été avancé pour justifier de la structure des opérations d’acquisition ! On ne peut être qu’un peu étonné par ce dernier point, tant les possibilités d’argumentation peuvent sembler, a priori, évidentes, même si ces dernières doivent encore coller à la réalité du dossier. Ainsi, il aurait pu sans doute être soutenu, entre autres,
    • que cette société D avait un rôle actif dans la gestion de la société d’exploitation, que ce soit en participant aux décisions stratégiques de sa filiale au travers d’un mandat d’administrateur rémunéré, de la fourniture de prestations et services à sa filiale, …
    • que la structure mise en place favorisait l’acquisition ou le regroupement futur d’autres activités semblables ou complémentaires, tout en assurant la protection de certains actifs (présents ou) futurs contre les risques opérationnels de la société d’exploitation. À cet égard, on n’insistera jamais assez sur l’utilité de la réalisation, que ce soit lors de la création d’une société ou d’une reprise de société, d’un plan financier détaillé ou d’un plan d’affaires décrivant au moins sommairement la stratégie de développement à moyen et long terme et le rôle de la société holding mise en place.

Quoiqu’il en soit, comme aucun argument ne semble avoir été ni avancé ni étayé dans ce sens, le tribunal estime en conclusion que rien n’indique, dans cette affaire, que Monsieur B n’aurait pas pu acquérir lui-même les actions, ni la nécessité de l’intervention de la société holding D ! En l’absence de tels éléments et fort des constats effectués, le tribunal estime donc que toutes les conditions d’un abus fiscal sont dûment rapportées par l’administration fiscale.


6. ENSEIGNEMENTS DE CETTE DÉCISION.

Tout d’abord, même si l’on ne peut écarter les circonstances de faits qui entourent cette décision, et notamment, a priori, l’absence de toute justification économique, commerciale ou autre que fiscale ou, à tout le moins, de justifications convaincantes à la mise en place de la structure d’acquisition par le contribuable concerné, ce jugement démontre une fois de plus clairement que les autorités fiscales et les tribunaux examinent avec de plus en plus de méfiance les structures holding dites passives qui semblent n’avoir été mises en place que pour obtenir certains avantages fiscaux, avec très peu, voire parfois sans, substance économique.

Ensuite, on ne saurait tirer de ce jugement une règle générale selon laquelle il ressortirait que toute interposition d’une société holding dans l’acquisition et/ou la gestion d’une autre société serait automatiquement considérée comme un montage non authentique ou un abus fiscal. Comme le précisent les travaux préparatoires préalables à l’entrée en vigueur de l’article 266 al. 4 du CIR 92, la charge de la preuve de la disposition anti-abus appartient d’abord à l’administration fiscale, qui doit démontrer que les conditions d’application de cette disposition sont remplies. Or, dans l’administration de cette preuve, la notion de « motifs commerciaux valables » doit être comprise non pas de manière restrictive mais large, en manière telle que d’autres motifs, pas forcément commerciaux, peuvent être pris en considération. À cet égard, les travaux préparatoires de la loi insérant l’article 266 al. 4 du CIR précisent bien que " cette disposition anti-abus n’a pas pour but d’inclure dans son champ d’application la gestion financière active d’une société de holding et de la considérer comme abusive ".

Cela étant, avec ce jugement, il faudra désormais rester très attentif à un effet d’extension ou de contagion à d’autres opérations telles que l’utilisation d’une holding pour transférer des fonds entre filiales ou dans des structures de type « debt push-down », voire tout simplement dans des situations où une structure holding est créée pour y loger un bâtiment dont le financement est assuré en définitive uniquement par des remontées de dividendes d’une société d’exploitation détenue à 100 % (ou à 99 % par la société holding et 1 % par son actionnaire unique), alors que l’immeuble ne sert pas, ou ne sert qu’en partie, à l’activité de la société d’exploitation.

Enfin, sur un plan plus global, cette décision du tribunal de Bruges rappelle l’importance de motiver les actes de gestion (que ce soit au travers des conventions et/ou de leurs annexes, de procès-verbaux d’organe de gestion de société ou d’assemblée générale, de rapports d’organe de gestion aux assemblées générales, de plans financiers ou plans d’affaires dressés à l’occasion d’une acquisition, etc.), si l’on entend faire face efficacement aux critiques de l’administration fiscale.

  • Holding passif – acquisition de sodiete & abus fiscal

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