En 1981, Ronald Reagan a créé une rupture en plongeant les États-Unis dans le néolibéralisme, avec le soutien d’économistes comme Milton Friedman et l’École de Chicago. Ce fut une transformation monétaire, fiscale et sociologique qui a conduit à déréglementer et déréguler, dans un contexte de baisse des impôts, pour laisser les forces du marché s’épanouir dans une "économie de marché". Il s’agissait d’un modèle où l’offre et la demande (des biens et services, mais aussi du travail et du capital) déterminaient, comme dans une bourse de valeurs, les prix et les quantités optimales. En réalité, le néolibéralisme a soigneusement subordonné le travail au capital, en exigeant une mobilité exacerbée de la main-d’œuvre, elle-même entraînée par l’affaiblissement des protections sociales.
Aujourd’hui, ce néolibéralisme est poussé encore plus loin dans ce que j’appelle l’exolibéralisme, qui accentue le démantèlement des structures étatiques, dynamitées par Donald Trump au profit d’une oligarchie qui privatise les biens publics.
Un homme avait prévu cette évolution : Zbigniew Brzeziński (1928-2017), politologue américain d'origine polonaise et conseiller du président Jimmy Carter de 1977 à 1981. Dans son ouvrage Between Two Ages: America’s Role in the Technetronic Era (1971), il anticipait une "révolution technétronique" qui allait profondément transformer les sociétés modernes. Il prévoyait une ère dominée par l’automatisation, les avancées informatiques et les technologies de communication, modifiant radicalement les structures économiques, politiques et sociales.
Selon lui, cette transition affaiblirait les modèles industriels traditionnels et renforcerait la domination des élites technocratiques, capables de contrôler l’information et l’opinion publique à une échelle sans précédent. Il alertait aussi sur les risques d’une surveillance accrue des populations, rendue possible par le développement des bases de données et de l’intelligence artificielle naissante.
Brzeziński décrivait ainsi une modernité où la technologie deviendrait un instrument de pouvoir, remodelant la démocratie et redéfinissant l’équilibre entre liberté et contrôle.
Il avait raison. Et l’on voit qu’aux États-Unis, la véritable frontière est désormais celle de la technologie numérique. Et elle est privatisée.